La France en perte de vitesse sur le marché agricole mondial
Si l’agriculture est actuellement «une fierté commerciale française», depuis les années 1990, les indicateurs sont alarmants et la France pourrait connaître son premier déficit agricole en 2023.
Un rapport du groupe agriculture et alimentation de la commission des affaires économiques du Sénat, intitulé «La France, un champion agricole mondial : pour combien de temps encore ?» et publié le 6 juin dernier, dresse un bilan de la compétitivité de l’agriculture française sur les marchés mondiaux. La valeur de la production française dépasse de 15 milliards d’euros celle de l’Allemagne et de l’Italie. La France est le premier producteur agricole européen ; elle contribue à 17% de la production de l’Union européenne.
Pourtant, derrière ces indicateurs positifs, se cachent des évolutions jugées alarmantes, qui marquent un recul global de la production agricole. Ainsi, la part des agriculteurs ou d’emplois liés à l’agroalimentaire dans la population active est passée de 12% à 5,5% en 40 ans, principalement en raison de départs à la retraite. D’autre part, la surface agricole a reculé de 17% entre 1961 et 2019, soit une baisse de 60.000 km2. Depuis la fin 1990, la production agricole stagne.
Le rapport précise ainsi qu’en raison de cette faible dynamique de production, la France fait partie des pays ayant perdu le plus de parts de marché au niveau mondial. Alors qu’il était le troisième exportateur mondial en 2005, l’Hexagone occupe désormais le sixième rang, avec environ 4,5% de parts de marché, soit une perte de 2 points en 10 ans.
Coût du travail élevé et surréglementation
Si l’excédent commercial agricole de la France fait partie des «fiertés nationales», les auteurs du rapport précisent que sans le vin et les spiritueux, le déficit commercial agricole serait de plus de 6 milliards d’euros. De plus, cet excédent tend à s’éroder ; entre 2011 et 2017, il a été divisé par deux, en euros courants. «À ce rythme de décroissance, la France constatera son premier déficit agricole en 2023», s’inquiètent les auteurs du rapport sénatorial. La diminution de l’excédent est principalement imputable aux échanges inter-européens ; en 2018, seuls les échanges avec les pays tiers ont contribué à l’excédent commercial.
La direction générale du trésor estime que 70% de l’érosion de l’excédent sont causés par une perte de compétitivité. Elle s’explique par plusieurs facteurs. Le premier est le dumping social avec des charges plus élevées. En maraîchage, par exemple, le coût du travail en France est respectivement 1,7 et 1,5 fois plus élevé qu’en Espagne et en Allemagne. La tendance à la surréglementation est également pointée du doigt par le Sénat. D’après l’OCDE, le degré d’exigence des politiques environnementales serait bien supérieur en France. La fragilité de l’industrie agroalimentaire et la faible structuration de certaines filières contribuent également à freiner la compétitivité des productions françaises.
Parallèlement à la perte de marché des exportations françaises, la France a massivement recours à l’importation de produits agricoles et alimentaires. Depuis 2000, elles ont progressé de 87%. Ainsi, environ un fruit et légume sur deux consommés en France est importé. Le rapport émet aussi des doutes quant à la qualité sanitaire des produits importés. Il souligne ainsi que, sur la base des non-conformités constatées par les autorités de contrôle, suite à un contrôle physique en 2017, on peut estimer qu’entre 8 et 12% des denrées alimentaires importées des pays tiers ne respectent pas les normes européennes de production et sont susceptibles de porter atteinte à la sécurité sanitaire des citoyens. 17% des produits bio contrôlés se sont révélés non conformes.
Des importations hors normes
Concernant les denrées alimentaires européennes, la concurrence déloyale est encore supérieure. En 2014, un rapport de la cour des comptes révélait que les non-conformités relevées par la DGAL (direction générale de l’alimentation), dans le cadre de ses contrôles sur les produits importés de l’Union européenne, sont de 17% pour les viandes fraîches de boucherie, 13% pour les viandes fraîches de volaille, 25% pour les produits à base de viande, 21% pour le lait cru ou traité thermiquement et les produits à base de lait.
Ainsi, 10 à 25% des produits importés en France ne respecteraient pas les normes minimales imposées aux producteurs français. Et la valeur de ces produits illégaux vendus en France oscillerait entre 5 à 10 milliards d’euros. «Un jour par semaine, les Français consomment intégralement des aliments préparés à base de produits étrangers. Et durant cette journée, ils consomment sans doute un repas entier avec des aliments ne répondant pas aux normes françaises», résume le sénateur Laurent Duplomb, rapporteur du texte.
Ainsi pour «protéger l’agriculture» et l’alimentation, les sénateurs appellent à renfoncer la compétitivité de l’agriculture française, mais aussi à lutter contre la concurrence déloyale des produits ne respectant pas les normes imposées aux producteurs de l’Hexagone. «Ce rapport montre que la France a d’indéniables opportunités : non seulement la capacité des producteurs à reconquérir des parts de marché national, mais aussi celle d’exporter notre savoir-faire et notre alimentation de qualité. Pour cela, il faut que notre pays retrouve la fierté de son agriculture», conclut le rapporteur.