Souveraineté alimentaire : les jalons de la reconquête sont posés
Si des perspectives à long terme pour regagner la souveraineté alimentaire nationale se sont dessinées au cours du colloque organisé par le Conseil de l’agriculture française, il reste encore du chemin à parcourir avant d’en recueillir les fruits.
Indépendance, protection, identité, revenus, changement climatique, organisation, compétitivité, transitions, autonomie, clauses miroirs… Tels sont les principaux thèmes qui ont été abordés au cours du “Grand rendez-vous” organisé ce mardi 18 mai par le Conseil de l’agriculture française. Autour des responsables des principales organisations professionnelles agricoles françaises — FNSEA, JA, Confédération nationale de la mutualité, de la coopération et du crédit agricole (CCMSA), Assemblée permanente des chambres d’agriculture (APCA) — cette visioconférence exceptionnelle a réuni plusieurs décideurs nationaux et européens dont Emmanuel Macron, le Président de la République (en savoir plus >>>).
Dégringolade de l’agriculture française
D’entrée de jeu, le ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie a clairement réaffirmé qu’il n’y a «pas d’agriculture sans agriculteurs» et qu’il n’y a «pas de pays fort sans agriculture forte». «Il faut sortir de notre dépendance aux importations» a-t-il plaidé, s’inquiétant de voir la France dégringoler à la sixième place des pays exportateurs en agroalimentaire, «derrière l’Allemagne et les Pays-Bas», alors qu’elle était encore sur le podium (troisième) en 2005.
Pour le ministre, il faut également sortir de la dépendance au changement climatique et aux marchés qui «ne respectent pas nos standards de production» et qui ne valorisent pas la qualité, cette dernière restant «la marque de fabrique de l’agriculture française» a-t-il assuré.
Fustigeant «une guerre de prix mortifère», il a également appelé à revenir «à la science et à la raison» sur le dossier de la protection des plantes et de l’innovation.
Plan Marshall de reconquête
Au cours de la première table ronde au titre évocateur «Souveraineté alimentaire : avons-nous encore le choix ?», le commissaire européen Thierry Breton a rappelé le défi de la double transition que l’agriculture et le secteur agroalimentaire devront relever : celle de la transition verte et celle du numérique. «La commission européenne ne ménagera pas ses efforts et le chemin ne sera pas aisé. Cependant, nous avons toutes les cartes en main pour réussir ensemble», a-t-il attesté.
Ce qui inclut le consommateur «qui est le véritable souverain aujourd’hui», a précisé Sébastien Abis, directeur du Club Déméter. «Mais il ne doit pas oublier toute la chaîne de sécurité et de valeur» de ce qu’il a dans son assiette, a-t-il ajouté.
L’une des pierres d’achoppement de cette souveraineté qui semble échapper à la ferme France vient du fait que «nous exportons des produits bruts et que nous importons des produits transformés», a expliqué Dominique Chargé, président de La Coopération agricole. Et de prendre l’exemple des pommes de terre des Hauts de France qui traversent la frontière pour être transformées en Belgique et revenir sous forme des sachets chips sur le territoire national, «laissant ainsi échapper toute un pan de valeur ajoutée».
Interrogé sur sa vision stratégique de la souveraineté alimentaire française, le Haut-Commissaire au Plan, François Bayrou, a plaidé pour un «Plan Marshall de reconquête» à l’image des États-Unis qui, en plus de 3.500 milliards de dollars dégagés après la crise du Covid viennent d’en ajouter 2.200 milliards de plus.
Au cours de la seconde table ronde («Comment réussir le défi de la souveraineté alimentaire?») les débats se sont plutôt concentrés sur les défis écologiques, le renouvellement des générations et l’international. Le président JA, Samuel Vandaele, a expliqué que la souveraineté passe par la «protection du foncier et du revenu», par «la préservation des ressources, notamment celles en eau» et enfin par la transmission, non seulement d’une exploitation mais aussi «des savoir-faire».
Pour le député européen (LREM), Pascal Canfin, la souveraineté passe par l’adoption des clauses-miroirs qui sont un premier pas pour inciter certains pays à s’aligner sur la législation européenne en termes de normes, notamment celles sur la protection de l’environnement (biodiversité, produits phytosanitaires…). Le Président de la République s’est également montré favorable à ce dispositif.
Elle passe aussi par la résistance aux traités internationaux (CETA, Mercosur…) qui devront désormais être compatibles avec les objectifs du Green Deal et du «Farm to Fork». C’est d’ailleurs sur cette base que se construit «un nouveau contrat social entre les agriculteurs et la société», même si aujourd’hui «il manque des contrats de transition agricole», a-t-il estimé.
Responsabilité politique
Dans la séquence Regards croisés entre Christiane Lambert, présidente de la FNSEA et Dominique Seux, directeur délégué de la rédaction du quotidien Les Échos, ce dernier a tenté d’établir un parallèle entre la désindustrialisation qu’avait connue le pays au début du millénaire, avec ce que vivait actuellement l’agriculture. «La seule différence qui existe, c’est que contrairement aux industries, nos exploitations ne sont pas délocalisables», s’est empressée de rectifier Christiane Lambert, qui impute une partie de la situation actuelle aux politiques. «Ils ont une responsabilité quand ils opposent agriculture et environnement», a-t-elle souligné.
Saluant le député écologiste François de Rugy qui appelle à «réconcilier l’écologie et la science», elle reste tout de même agacée par les «écolos vert foncé qui forcent le trait (…)» sur le travail des agriculteurs et influencent négativement l’opinion. Pour la présidente de la FNSEA, l’éducation du consommateur est aussi l’une des clés de la souveraineté. C’est en partie pourquoi les agriculteurs se sont emparés de leur propre communication et qu’ils expliquent, de manière transparence et pédagogique, leur travail quotidien.