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Pierre Pagesse : « On ne bàtira pas la stabilité du monde sur le chaos des marchés »

Le président de Momagri (Mouvement pour une organisation mondiale de l'agriculture) et du groupe Limagrain, Pierre Pagesse, a accepté d'apporter son éclairage sur les moyens de lutter contre la volatilité des marchés agricoles.

file-Pierre Pagesse est président du Momagri (Mouvement pour une organisation mondiale de l'agriculture) et du groupe Limagrain. © Réussir
Pierre Pagesse est président du Momagri (Mouvement pour une organisation mondiale de l'agriculture) et du groupe Limagrain. © Réussir
La France, qui préside le G20 jusqu'en novembre 2011, souhaite amener les grandes puissances économiques à  décider la régulation des marchés de matières premières. La volatilité accrue des cours du blé, du soja ou du lait menace la paix sociale de certains pays et la paix mondiale, insiste Pierre Pagesse. Il prône aussi la régulation du marché des monnaies. Quelles sont selon vous les principales raisons de la volatilité accrue des marchés agricoles et agroalimentaires ? Pierre Pagesse : Tout d'abord, la demande mondiale de produits agricoles et alimentaires n'est pas élastique. Elle est d'ailleurs en hausse du fait de la croissance démographique mondiale et de l'élévation du niveau de vie en Chine ou en Inde. Par nature, les règles des marchés de produits agricoles n'obéissent pas aux mêmes paramètres que les produits manufacturés. Le sacro-saint principe libéral de « la main invisible » du marché ne fonctionne donc pas ici. L'adaptation pure de l'offre et de la demande ne fonctionne pas. Et -1 % à  -2 % d'inadaptation de l'offre à  la demande de produits agricoles va générer 200 à  300 % de hausse des cours ! De même, les fameux avantages comparatifs avancés par l'économiste Ricardo ne conviennent pas aux marchés agricoles : pour satisfaire les besoins alimentaires, on a besoin de toutes les zones agricoles du monde. L'offre agricole mondiale est de son côté portée par 2,5 milliards de paysans. Le paysan représente une somme de décisions qui, à  la marge, peut faire, elle-même, varier les assolements et amplifier la volatilité. Après 2007, je m'attendais ainsi à  la baisse rapide des cours après leur flambée. Le facteur de volatilité est endogène ici, il est créé par les acteurs eux-mêmes. Puis d'autres facteurs viennent s'ajouter. Si vous êtes sur des marchés à  terme, vous observez les investissements opérés par les agriculteurs car ils vous donnent une prévision des volumes de production et orientent donc vos opérations financières. Les conditions climatiques provoquent aussi de la volatilité, comme ces récentes inondations en Australie ou la sécheresse de l'été dernier en Russie. Elles ont d'autant plus d'incidence sur les cours qu'elles surviennent dans des zones d'exportation. Et la Russie a même décidé de suspendre ses exportations de céréales. Enfin, la spéculation sur les marchés financiers vient amplifier ces facteurs mais n'est qu'une conséquence. Elle vient surexprimer ces facteurs et existe aujourd'hui sur les marchés car les organisations communes de marché (OCM) européennes ont été démantelées depuis 30 ans. Quels sont les effets qui produisent cette volatilité ? En 1974, personne n'a remarqué en Europe la forte fluctuation des prix agricoles, ni les paysans ni les consommateurs, car il existait des protections contre ces fluctuations et un système d'intervention. Puis ces régulations ont été démantelées pour créer quasiment toutes les conditions d'un marché libéralisé et la volatilité s'est installée. Ses effets sont destructeurs dans les pays en développement comme dans les pays développés. Ils le sont pour le paysan qui a besoin de visibilité pour optimiser sa production ; la volatilité l'en prive. Ils sont destructeurs pour les industries agroalimentaires : l'instabilité des prix de revient qui découle de la volatilité est très difficile à  répercuter à  la consommation. Enfin, les effets de la volatilité sont destructeurs pour le pouvoir d'achat du consommateur et personne ne le dit. Dans une étude réalisée par Limagrain en mai 2010, on voit bien que la PAC a permis de faire baisser le prix des produits alimentaires en France. Sur une base 100 en 1970, l'indice des prix à  la consommation de produits alimentaires atteint 119 aux États-Unis en 2006, contre 86 en France. Aux États-Unis, on laisse jouer le marché sur la consommation. La PAC a d'abord servi aux consommateurs car elle a donné à  l'agriculteur de la visibilité qui lui permet d'abaisser son coût de production. Au bout, le prix au consommateur baisse aussi. Nicolas Sarkozy a inscrit la régulation des marchés de matières premières en haut de l'agenda de la présidence française du G20. Que pensez-vous des pistes qu'il a évoquées ? On ne bàtira pas la stabilité du monde sur le chaos des marchés. Nous devons les réguler et cette idée fait son chemin. Mais on peut mettre derrière ce mot beaucoup de choses. Nicolas Sarkozy évoque la régulation des marchés physiques et des marchés financiers. Cependant, l'approche du président de la République me semble surtout financière pour l'instant et c'est insuffisant. Il est nécessaire également de limiter la spéculation sur les monnaies. De simple moyen d'échange, elles sont devenues un objet de spéculation en tant que tel. Nous sommes sans doute à  l'aube d'une bataille économique entre les États-Unis et la Chine. Washington fait marcher sa planche à  billets et Pékin maintient la faiblesse de sa monnaie qui serait sous-évaluée de 30 % et disposerait d'un fort pouvoir d'achat. Tout cela peut être destructeur ! On doit redéfinir les règles et les institutions en charge de réguler le marché des changes, pour aller vers plus de transparence et de contrôle. Quels sont, selon vous, les types de régulation efficaces sur les marchés physiques ? Si un seul pays décide de réguler son marché physique, ça ne sert à  rien ! Il faudrait que les 10 pays qui réalisent 90 % des exportations agricoles mondiales le décident ensemble sur le blé, le mais, le soja, le lait, la viande bovine, la viande porcine, la viande de volaille, le sucre et l'huile. Autour d'une vision mondiale, il s'agirait de définir un prix d'équilibre au sein d'une fourchette, d'un « tunnel ». Ce prix, constitué du prix de revient et de la marge pour investissement, serait basé sur l'économie réelle, c'est-à -dire sur le prix de revient des producteurs agricoles. Ce serait une nouvelle référence. Parallèlement, nous avons besoin de stocks de sécurité gérés par les États pour lisser les amplitudes des marchés. On maintient donc une zone d'échanges dans laquelle le marché joue son rôle mais en dessous de cette nouvelle référence on stocke, et au-dessus on remet les stocks sur les marchés. Quant au coût de ce système, je m'interroge : quel est le coût de l'instabilité des marchés pour une société ? Cherté des denrées alimentaires, effets sociaux et exode rural, grandes migrations Combien coûte tout cela ? Et veut-on, oui ou non, éradiquer la malnutrition ? Il est crucial d'encourager la production agricole mondiale mais nous devons tenir compte aussi du niveau de développement des pays pauvres. Nous devons permettre à  des marchés sous-régionaux comme celui de l'Afrique de l'Ouest de se doter d'une politique agricole comme l'Europe le fit avec la PAC, avec des protections douanières, des prix garantis. L'objectif est de développer l'agriculture vivrière et aider au développement économique de toute la zone. Comment mieux encadrer les marchés à  terme ? Il faut en effet encadrer les marchés à  terme agricoles pour limiter la volatilité des cours. On pourrait demander aux opérateurs légitimes sur ces marchés de mobiliser des moyens financiers pour y avoir accès tels qu'ils les obligeraient à  limiter leurs positions. Nous devons aussi aller voir qui se cache derrière la spéculation. Ceux qui la pratiquent ont-ils ou non un quelconque lien avec l'agriculture ? Estimez-vous que des décisions concrètes pourront sortir du G20 ? Partout, chez les agriculteurs de différentes régions du monde, j'ai rencontré le même sentiment d'insécurité. Tout le monde craint également la fluctuation des monnaies. Je suis optimiste de nature. Il y a une prise de conscience générale sur le sujet de la volatilité mais c'est le début d'un chemin encore long car les égoismes nationaux, la bataille des positions pour l'influence politique dans le monde demeurent coriaces. Toutefois, l'instabilité des marchés peut faire bouger les lignes. En effet, sur le terreau de la pauvreté croissent les frustrations mais aussi les extrémismes qui menacent la paix sociale de certains pays et peuvent menacer la paix mondiale. La Chine achète des terres agricoles en Afrique parce qu'elle redoute chez elle une révolte de la faim qui serait incontrôlable. Dans le même temps, trop de régulation pourrait entamer la capacité d'exportation de certains États. Il s'agit donc d'être libéral et protectionniste à  la fois, comme certains pays le sont et en premier lieu les États-Unis. Les négociations à  l'OMC demeurent bloquées. Faut-il en sortir l'agriculture et ses produits ? Nous devons sortir l'agriculture de la logique commerciale. Si nous pouvions créer cette organisation mondiale de l'agriculture (OMA). Raisonner l'agriculture planétaire uniquement d'un point de vue commercial ne résoudra pas les problèmes de développement ni ceux des pays développés. Le Mouvement pour une organisation mondiale de l'agriculture (Momagri) est un think tank oeuvrant à  la promotion d'une gouvernance mondiale de l'agriculture qui concilie le libre-échange et la régulation. En savoir plus
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