Covid-19 : le spectre de la famine plane sur de nombreux pays
Si le Covid-19 a tué environ de 350.000 personnes à travers le monde depuis le début de l’épidémie, la malnutrition et la famine provoquent la mort de plus de neuf millions de personnes chaque année à travers le monde, dont trois millions d’enfants de moins de cinq ans. Un phénomène qui s’aggrave.
Dès le 22 avril, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et le Programme alimentaire mondial (PAM) alertaient sur la bombe sociale que pouvaient constituer les suites du Covid-19, en particulier l’expansion de la famine.
De même, l’Association agriculteurs français, développement international (AFDI) s’inquiétait récemment, par l’intermédiaire de son président, Henri Biès-Péré, que «de nombreux États, en particulier africains, prennent conscience que leur population dépend trop des importations alimentaires en provenance du reste du monde et qu’il serait temps, pour eux, d’investir dans le développement agricole et la chaîne agroalimentaire».
Émeutes de la faim
En effet, avec la déstabilisation des chaînes d’approvisionnement, la fermeture des frontières et l’effondrement du commerce mondial, la sécurité alimentaire de nombreux pays est aujourd’hui menacée. De nombreux pays (Russie, Égypte, Inde, Kazakhstan, Serbie, Vietnam) ont interdit l’exportation de produits alimentaires. Ils ont justifié ces mesures par la crainte de pénurie nationale si la pandémie devait durer des mois.
Cependant, la plupart de ces pays ont rapidement levé les interdictions, car ils ont compris qu’avec de telles mesures, ils punissaient leurs propres producteurs agricoles en les privant de marchés internationaux. Il n’en reste pas moins qu’en Afrique de l’Est, la sécheresse et les invasions de criquets qui ravagent les maigres récoltes viennent aggraver une situation déjà très précaire.
Au Kenya, des émeutes de la faim se sont produites dans certains quartiers de Nairobi. Au Venezuela, des émeutes similaires se produisent régulièrement en raison de l’augmentation continue du prix des produits de première nécessité et des produits alimentaires. Depuis le début de l’année, l’inflation a dépassé les 125%. Le prix moyen de 500 grammes de pain est d’environ 200.000 bolivars, soit un euro, l’équivalent d’un salaire journalier. Au Chili, les émeutes de la faim secouent la capitale Santiago depuis la mi-mai. Le président de Chilien, Sebastián Piñera, a bien prévu la distribution de 2,5 millions de colis alimentaires et de produits de première nécessité, dans le cadre de sa campagne, mais leur livraison tarde.
Stocks alimentaires publics
En Inde, la crise du Covid fragilise une agriculture structurellement déficiente. Certes, le secteur agricole emploie encore la moitié de la population, soit un peu plus de 650 millions d’Indiens, mais il ne pèse que 14% du PIB. La très grande majorité des travailleurs agricoles et des paysans est extrêmement pauvre.
Pour Thierry Pouch, chef du service des études économiques de l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture (APCA), «c’est avant tout un problème de demande et non pas d’offre alimentaire» car «nous avons de quoi nourrir la planète». La plupart des personnes se retrouvent au chômage et de ce fait, ne disposent plus du «pouvoir d’achat lié à la nourriture», ajoute-t-il.
Thierry Pouch analyse également «un problème de politique publique». C’est pourquoi l’Inde avait demandé, en 2013, que le subventionnement des stocks alimentaires publics soit accepté dans les accords de l’Organisation mondiale du commerce et ne soit pas considéré comme une distorsion de concurrence ou comme une infraction. Ce qui avait bloqué, une fois de plus, le cycle de négociations, toujours au point mort.
En 2019, 825 millions de personnes dans le monde étaient déjà mal nourries dont 135 millions au bord de la famine. Selon la FAO, la pandémie du Covid pourrait faire passer ces 825 millions de personnes à plus d’un milliard. L’objectif d’un «monde sans famine sera difficilement atteignable, voire impossible à réaliser», s’inquiète Thierry Pouch.