Les nouveaux chemins ouatés de la laine des Pyrénées
Il fallait toute la détermination de Muriel Morot, à la tête de sa jeune société Traille, pour relever le défi technologique et commercial de proposer l’incorporation de la laine des Pyrénées dans les doudounes et les vêtements matelassés.
Lauréate des Trophées de la bioéconomie, Muriel Morot était invitée le 31 mars dernier à la remise du prix dans les locaux de la DRAAF. Ce trophée vient récompenser la mise au point d’une ouate thermorégulante à base de laine, une alternative naturelle au polyester. Pourtant, rien ne prédestinait la restauratrice de Paris à se lancer dans la valorisation de la laine du Béarn et du Pays basque, ou presque.
L’histoire a commencé lors d’une journée Cabane ouverte en 2019, lorsque Marc, le berger qui accueillait ce jour-là les curieux au col de la Pierre-Saint-Martin, évoque les difficultés de la vente de la laine. Et puis il y a eu la pandémie du Covid-19 et le confinement qui ont entraîné la fermeture du restaurant parisien et l’arrêt des activités de traiteur en évènementiel, déjà mises à mal par les perturbations liées aux manifestations des Gilets jaunes. Muriel Morot décide, alors, de changer de voie. Elle s’installe au Pays basque et se jette corps et âme dans ce projet de valorisation de la laine locale.
Elle voulait redonner de la noblesse à la laine des Pyrénées, tout en étant consciente de l’impossibilité de concurrencer la laine mérinos produite en Océanie. D’où cette idée d’une ouate d’un nouveau genre. Pour mettre au point ce nouveau produit, elle se tourne vers le CETI, le Centre Européen des textiles innovants de Lille, à la fois centre de formation, d’expérimentation et de prototypage de nouveaux matériaux textiles. Cet incubateur est totalement adapté à sa démarche, sans réelle expérience dans cet univers.
Empreinte environnementale
La ouate textile entre aujourd’hui dans la fabrication des vêtements matelassés et autres doudounes. Ces vêtements font appel, le plus souvent, au polyester, un composant synthétique à l’empreinte environnementale déplorable, et produit le plus souvent en Asie. La ouate qu’elle va mettre au point associe la laine et l’amidon de maïs (PLA, l’acide poly-lactique totalement biodégradable) pour lui donner une structure textile, améliorer son caractère gonflant et ses qualités thermorégulantes. Pour ce type d’application, Muriel a dû abandonner l’idée d’utiliser la laine des brebis Manech locales qui reste trop raide et piquante pour les standards de confort actuel. Le procédé s’est orienté vers la laine de brebis Lacaune, plus fine et frisée, avec un meilleur pouvoir gonflant.
Or, le potentiel de production de cette laine dans le département des Pyrénées-Atlantiques n’est pas négligeable, de l’ordre de 45 à 50 tonnes, soit un peu moins d’un kilo par brebis pour un cheptel estimé à environ 50.000 têtes. La société Traille, créée par Muriel, s’est rapprochée de la coopérative Amatik qui gère le label du même nom et possède un petit centre d’engraissement à Labets, Etchebarnia, tout près de Saint-Palais. Le groupement d’éleveurs a mis à disposition des lots de laine durant la phase de développement du projet.
Après sa collecte, la laine est lavée dans la dernière grande unité de lavage française située en Haute-Loire. Le thermoformatage, c’est-à-dire l’incorporation de l’amidon de maïs, est réalisé en Espagne, à 200 km des Pyrénées. Toutes les entreprises françaises contactées ont décliné la proposition de fabrication, prétextant un volume d’activité trop modeste à leurs yeux.
De l’avis de Muriel Morot, le volume de cette nouvelle ouate restera limité encore pour les prochaines années, tant la France a perdu de sa capacité de produire des textiles et son savoir-faire. L’Hexagone s’est concentré sur le textile haut de gamme, entre la haute couture et quelques créneaux spécifiques. Mais la prise de conscience des enjeux environnementaux commence à faire son chemin dans le monde de la couture et de l’habillement. Pour Muriel Morot, «aller vendre la ouate en Asie n’aurait aucun sens. Peut-être, faudra-t-il, à court terme, explorer les fabrications aux portes de l’Europe» s’interroge-t-elle. Même si cela prendra du temps, elle croit à la relocalisation des activités textiles.
Une voie exigeante
C’est le pari de quelques entrepreneurs qui s’y sont engagés comme Traille, une SAS, société par actions simplifiées, une forme juridique souple et moins contraignante qu’une SARL pour cette entreprise à taille humaine. Traille a bénéficié d’un aide du conseil régional de Nouvelle-Aquitaine, mais elle s’est construite sur les fonds propres de l’entrepreneuse consciente des risques, mais qui a, ainsi, le sentiment de redonner du sens à sa nouvelle vie.
Les nouveaux projets ne manquent pas. Elle envisage de nouer des partenariats avec les collectivités territoriales pour produire des vêtements de travail, en remplaçant le polyester par de la laine. L’entreprenante barétounaise a bien d’autres idées dans ses cartons.
Pour baptiser sa société, Muriel a repris le nom de sa famille maternelle, originaire d’Arette. Et en béarnais, «tralhas» désigne un chemin étroit et escarpé. La voie exigeante empruntée par Muriel Morot pour tracer les nouveaux chemins de la laine.
Jean-Marc Arranz