Bruxelles préconise de déléguer la mise en œuvre de la PAC aux États
Après des mois de réflexion, la Commission européenne préconise un nouveau «modèle» pour l’application de la future politique agricole commune, dont la responsabilité reviendrait aux États membres. Bruxelles propose aussi de revoir de fond en comble la politique de verdissement. L’ensemble de la profession agricole dénonce cette renationalisation, craignant notamment «des distorsions de concurrence au sein même de l’UE».
Présentée le 29 novembre, la communication de la Commission européenne sur la prochaine réforme de la PAC, qui sera suivie de propositions législatives avant l’été, «marque un changement important dans la mise en œuvre» de cette politique, a confirmé, devant la presse, le commissaire à l’agriculture, Phil Hogan. Bruxelles propose de maintenir le système des paiements directs et les deux piliers, mais dans un but de simplification et de subsidiarité, chaque État membre élaborerait et appliquerait, après approbation par Bruxelles, sa propre stratégie pour atteindre les objectifs fixés au niveau de l’UE, notamment pour le verdissement.
«L’avenir de l’alimentation et de l’agriculture», titre du document de la Commission, «mérite mieux qu’un débat technocratique sur une proposition de renationalisation», a commenté, très critique, le think tank Farm Europe. «Cette subsidiarité extrême constituerait une simplification uniquement pour l’administration européenne», estime-t-il, soulignant le risque de «distorsions de concurrence tant en matière économique qu’environnementale» au sein de l’UE et parlant de «recul en matière d’ambition environnementale dès lors que les États membres pourraient jouer sur des règles moins-disantes pour gagner en compétitivité». Mais, assure Phil Hogan, «la PAC a toujours été une politique commune, appliquée dans tous les pays de l’UE. Cela continuera d’être le principe directeur de cette politique à l’avenir».
Sur les autres questions, la Commission reste très vague, compte tenu notamment de l’inconnue budgétaire. Elle présentera ses propositions sur le cadre financier post-2020 de l’UE fin mai 2018, et ensuite celles sur la PAC.
«Plans stratégiques»
Selon le document, tandis que «l’Union devrait fixer les paramètres essentiels (objectifs de la PAC, principaux types d’intervention, exigences de base)», les États membres «devraient assumer une plus grande part de responsabilité et rendre compte de la manière dont ils entendent atteindre les objectifs et mettre en œuvre les objectifs chiffrés, décidés en commun». Ils «devraient prendre leurs décisions non pas de manière isolée, mais dans le cadre d’un processus structuré qui se concrétiserait par un plan stratégique de la PAC, couvrant les interventions tant du premier que du deuxième pilier. […] La Commission appréciera et approuvera ces plans, en vue d’optimiser la contribution de la PAC aux priorités et aux objectifs de l’UE et à la réalisation des objectifs en matière de climat et d’énergie».
«Le modèle de mise en œuvre continuera ainsi à assurer des conditions équitables, en préservant la nature commune et les deux piliers de cette politique», assure la Commission. Celle-ci «appréciera et approuvera ces plans, en vue d’optimiser la contribution de la PAC aux priorités et aux objectifs de l’UE et à la réalisation des objectifs en matière de climat et d’énergie».
Pour soutenir, «de manière équitable et mieux adaptée, les revenus des agriculteurs», la Commission suggère «d’explorer» diverses possibilités : «instaurer un plafonnement obligatoire des paiements directs en tenant compte de la main-d’œuvre afin d’éviter les effets négatifs sur l’emploi ; introduire des paiements dégressifs, en tant que mesure de réduction de l’aide aux plus grandes exploitations agricoles ; mettre l’accent sur le paiement redistributif, afin d’être en mesure de fournir une aide ciblée, par exemple aux petites et moyennes exploitations». Parallèlement, «les écarts entre États membres du point de vue de l’aide de la PAC seraient réduits», même s’il faut «reconnaître la grande diversité des coûts relatifs de la main-d’œuvre et des terres et les potentiels agronomiques différents dans l’UE».
«Améliorer l'application des instruments actuels»
«La PAC offre déjà un ensemble hiérarchisé d’instruments qui aident les agriculteurs à prévenir et à gérer les risques, allant des paiements directs et interventions sur le marché aux indemnisations d’après-crise et mesures actuelles du second pilier, en particulier un instrument de stabilisation des revenus et l’aide à l’assurance», rappelle par ailleurs la Commission.
Elle annonce toutefois qu’«une plateforme européenne permanente, consacrée à la gestion des risques, sera bientôt créée pour offrir aux agriculteurs, aux autorités publiques et aux acteurs du secteur un lieu d’échange de leurs expériences et meilleures pratiques, dans le but d’améliorer l’application des instruments actuels et d’orienter l’évolution future des politiques».
La communication propose aussi d’encourager le recours aux technologies modernes pour soutenir les agriculteurs sur le terrain et accroître la transparence et la sécurité des marchés, et d’inciter davantage les jeunes à s’engager dans l’agriculture, en coordination avec les pouvoirs exercés par les États membres dans les domaines de la taxation foncière, de la planification et du développement des compétences.
Enfin, la Commission souligne la nécessité de rechercher la cohérence entre les politiques de l’Union, en tenant compte de sa dimension mondiale, notamment en matière de commerce, de migration et de développement durable. «Nul ne peut ignorer que certains secteurs agricoles ne sont pas en mesure d’affronter une libéralisation totale du commerce et une concurrence sans entraves pour les importations», relève-t-elle notamment. «Aussi devons-nous continuer à reconnaître et prendre dûment en considération, dans les négociations commerciales, le caractère sensible des produits en question et réfléchir aux moyens de remédier à la répartition géographique inégale des avantages et désavantages que les accords commerciaux de l’UE entraînent pour le secteur agricole dans l’Union».
Réactions : une renationalisation globalement dénoncéeBien qu’elle partage «de nombreux points» du diagnostic établi par la Commission européenne (innovation/recherche, multi-performance, compétitivité, et résilience), la FNSEA regrette une «révolution technocratique […] qui cache maladroitement une renationalisation majeure de la seule politique réellement intégrée de l’Union européenne». Le syndicat craint que cette «subsidiarité extrême» conduise à «des distorsions de concurrence si elle n’est pas maîtrisée» et crée «des discriminations entre les agriculteurs européens». Pire, la FNSEA redoute que «la touche finale» de cette subsidiarité ne soit apportée par un cofinancement national des aides du premier pilier «que le document de la Commission européenne n’exclut pas, avec l’objectif non avoué de réduire les dépenses au niveau européen consacrées à l’agriculture».
Les Jeunes Agriculteurs sont sur la même ligne. Le syndicat pointe les mêmes risques liés à une éventuelle renationalisation : «Distorsions de concurrence, baisse drastique des soutiens dans les États membres aux finances publiques déjà fragiles, et, au final, la disparition d’agriculteurs».
Coop de France exprime «son inquiétude quant au risque de renationalisation de la PAC que sous-tend la communication de la Commission». Les coopératives craignent «la mise en place de 27 PAC, sans compter les déclinaisons régionales possibles» et la création de «multiples distorsions de concurrence intracommunautaire». Coop de France estime également que les propositions de Bruxelles «sur le volet économique» sont «timides» et «ne semblent pas à la hauteur des enjeux, alors que les grandes puissances économiques se sont toutes dotées d’instruments au service de la compétitivité de leur secteur agricole et agroalimentaire».
Le COPA-Cogeca craint, pour sa part, que le nouveau modèle basé sur les résultats, proposé dans le cadre de la communication sur l’avenir de la PAC rende la mise en œuvre de cette politique encore plus compliquée et surtout mène à une renationalisation supplémentaire. Il se félicite néanmoins de la volonté de simplification et de l’accent mis sur l’agriculture intelligente et les mesures de gestion des risques.
Côté politique, le groupe des sociaux-démocrates du Parlement européen (S&D) estime que «la vision de la Commission pour l’avenir de la PAC manque d’ambition», mais se félicite «qu’elle ait accepté certaines de nos propositions sur l’emploi, la bioéconomie et une nouvelle approche du verdissement». Le Parti populaire européen (PPE), parti du commissaire européen Phil Hogan, émet lui aussi des doutes. «Nous devons laisser les agriculteurs faire leur travail : produire notre nourriture et ne pas être coincés par la bureaucratie. Nous espérons que le “nouveau mécanisme de mise en œuvre” permettra de réaliser cette simplification et de mieux répondre aux besoins locaux tout en garantissant la nature commune de la politique agricole et des conditions de concurrence équitables sur le marché unique», a réagi le président du PPE, Joseph Daul.
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