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Bruxelles, terre de prédilection des lobbies

Des milliers d’organismes d’influence travaillent auprès des institutions européennes, cherchant à tourner la politique des 27 à leur avantage. Ils seraient 25.000, selon une étude de 2015 de l’ONG Transparency international. Voyage dans les coulisses de Bruxelles.

file-Bruxelles grouille de lobbyistes professionnels. Ils seraient 25.000, selon une étude de 2015 de l’ONG Transparency international. Leur rôle : influencer la politique européenne.
Bruxelles grouille de lobbyistes professionnels. Ils seraient 25.000, selon une étude de 2015 de l’ONG Transparency international. Leur rôle : influencer la politique européenne.

À l’heure du déjeuner, des centaines de personnes se pressent dans la cantine du Parlement européen. «Une bonne moitié de ces gens sont des lobbyistes», glisse Christian avec un sourire entendu. Cet assistant d’une eurodéputée britannique connaît bien les rouages des institutions communautaires. Bruxelles grouille de lobbyistes professionnels. Ils seraient 25.000, selon une étude de 2015 de l’ONG Transparency international.

Leur rôle : influencer la politique européenne. Dans des domaines très variés. La Commission et le Parlement font office d’échiquier politique. Chaque groupe d’influence avance ses pions. L’agriculture joue aussi des coudes pour se faire une place dans cette arène où tous les coups sont permis.

Les lobbies occupent le terrain

Le secteur agricole fait figure de poids lourd. Il bénéficie d’une grande expérience en matière de lobbying. «La Commission a très vite intégré les organisations syndicales à ses travaux», explique Martin Pigeon, chercheur au Corporate European Observatory, une ONG belge spécialisée dans les lobbies. Dès juillet 1958, des représentants des agriculteurs sont invités en tant qu’observateurs à la conférence de Stresa, un des événements fondateurs de la PAC. Deux mois plus tard, ils créent une union de syndicats agricoles européens : le COPA auquel adhère, dès le départ, la FNSEA.

Les coopératives agricoles leur emboîtent le pas l’année suivante en créant le Cogeca. En 1962, les deux groupements se marient pour former le COPA-Cogeca. Depuis, l’entité constitue la pièce maîtresse du lobby agricole. «Il jouit d’un grand prestige», confirme Martin Pigeon.

L’argent, le nerf de la guerre

La réputation suffit-elle à influencer une politique européenne? Non, bien sûr. «Il faut avant tout suivre les dossiers», explique Jean-Baptiste Boucher, chef de la communication au COPA-Cogeca. Pour cela, l’organisme dispose de treize salariés accrédités auprès de la Commission. En un an, ces émissaires ont ainsi rencontré à 28 reprises des membres de cabinets de plusieurs commissaires européens. Ces réunions privilégiées servent à appuyer leurs arguments.

Le groupement s’impose notamment dans toutes les phases de négociation de la nouvelle politique agricole commune. «Le COPA-Cogeca a cogéré la PAC pendant très longtemps, c’est un interlocuteur incontournable à Bruxelles», analyse le chercheur Martin Pigeon. Les ambassadeurs agricoles défilent souvent devant les parlementaires. «Quand on parle de la Pac, il faut auditionner les représentants des agriculteurs», acquiesce Anne Sander, eurodéputée du Bas-Rhin.

Les comités d’expert, cibles privilégiées

Autre stratégie : infiltrer les comités d’experts. Ces cercles thématiques fournissent leur expertise aux fonctionnaires de l’UE. En clair, ils préparent en coulisse les futures lois. Le COPA-Cogeca siège dans au moins 38 de ces groupes, dont celui spécialisé sur la PAC.

Néanmoins, l’organisme syndical est loin d’avoir le monopole du lobbying à Bruxelles. En 2015, 8.695 lobbies se sont enregistrés auprès de la Commission. Des centaines rien que pour le secteur agricole. Mais on ne se bat pas toujours à armes égales ; l’argent fait souvent la différence. Certaines ONG ou organisations peu représentatives présentent un budget annuel de moins de 25.000 euros. D’autres groupements affichent des dépenses de plusieurs centaines de milliers d’euros. Le COPA-Cogeca a ainsi déclaré à la Commission un budget compris entre 1 et 1,3 million d’euros pour l’année 2016.

Mais compte en banque bien rempli ne rime pas toujours avec victoire politique. «Tout dépend du sujet, du climat institutionnel, des priorités du moment», lâche en habitué Martin Pigeon. Sur l’échiquier bruxellois, tout n’est pas noir ou blanc. Le rapport de force change constamment au gré des alliances. L’équilibre politique évolue aussi selon les divisions du secteur agricole. Car des centaines d’organismes se revendiquent défenseurs de l’agriculture. Toutes les sensibilités, spécialités et nationalités sont représentées. «Ces différents groupes n’ont pas les mêmes agendas, ils se tirent souvent dans les pattes», rigole un observateur bien informé.

Les rapports de force en action

Le COPA-Cogeca, lui-même, ne parle pas d’une seule voix. Il représente tous les types d’agriculture dans l’ensemble des pays membres de l’UE. Mais les éleveurs n’ont pas les mêmes priorités que les arboriculteurs. Les Roumains n’ont pas les mêmes intérêts que les Français ou les Suédois. Et Martin Pigeon d’illustrer : «Le COPA représente le dénominateur commun minimum entre tous ces acteurs.»

L’unanimité reste pourtant nécessaire pour engager une action au nom du COPA-Cogeca. En cas de désaccord, chacun part de son côté. «Dans ces cas-là, on s’organise soit par secteur d’activité, soit par pays», explique Arnaud Delacour, à la tête du groupe de travail sur la pomme de terre au COPA-Cogeca. En clair, chaque groupe d’intérêt va faire pression à sa guise et parfois en totale opposition avec d’autres membres du COPA. Une vraie cacophonie.

Assise au bar du Parlement, la députée française Karine Gloanec-Maurin sourit : «J’ai vite compris une chose en devenant membre de la commission agriculture : il n’y a pas un, mais plusieurs lobbies agricoles.» Il faut s’accrocher pour ne pas s’y perdre.

Fabien Nouvène

 

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