Comptes de l’agriculture : un redressement qui masque de profondes disparités
Remontée des cours des productions végétales, volumes en hausse, coup de frein sur les investissements… Selon les comptes nationaux prévisionnels de l’agriculture, l’année 2018, pourtant marquée par une sécheresse, verrait le résultat net agricole progresser de 15,7% à l’échelle de la ferme France et de 18,3% rapporté à l’actif. Des chiffres que les organisations agricoles demandent à prendre avec précaution.
D’après les statistiques prévisionnelles de l’Insee, publiées par la Commission des comptes de l’agriculture de la Nation (CCAN) le 18 décembre, le résultat net par actif agricole non salarié (exploitant et coexploitant) progresserait, en 2018, de 18,3%, après une hausse de 25,4% en 2017 et surtout une exceptionnelle baisse de 21,5% en 2016, lié à une récolte de grains catastrophique.
À l’échelle de la ferme France, «ce résultat disponible pour les chefs d’exploitation, pour se rémunérer et investir, est de 16,8 milliards d’euros» (+15,7%), calcule Didier Caraes, économiste pour les chambres d’agriculture. Cette hausse reste «raisonnable, explique-t-il, et s’inscrit dans un contexte de forte instabilité du revenu agricole».
L’équivalent agricole du PIB, la valeur ajoutée au coût des facteurs en termes réels (incluant les aides et subventions et en tenant compte de l’inflation) progresserait moins vite, selon les prévisions de l’Insee. Il est en hausse de 6,7% par actif en 2018 et s’établirait à 32,1 milliards d’euros (contre 29,5 milliards d’euros en 2017). L’évolution de ces deux indicateurs, la valeur ajoutée et le résultat net, s’explique par le fait que la hausse de la valeur de la production a été plus importante que celle des consommations intermédiaires (alimentation animale, phytos, engrais…) cette année.
Production et charges en hausse
D’un côté, la valeur de la production, hors subvention, de la branche agricole progresserait de 4,7% à 75,2 milliards d’euros, tirée principalement par le vin et les céréales. De l’autre, après quatre années de baisse, les consommations intermédiaires progresseraient de 1,7% en valeur à 44,2 milliards d’euros, du fait, principalement, de l’augmentation des achats d’engrais (+ 4,9% en volumes avec une stabilité des prix). «Il s’agit d’un retour à la normale, après une sous-utilisation ces dernières années», interprète Didier Caraes. La hausse des prix est, elle, tirée par le prix de l’énergie : + 13,7% en un an. «Le prix du gazole non routier s’envole de 21,4%, celui du GPL de 20,5% et celui du gazole routier de 16,5%», illustre le CCAN. Ce qui pèse lourdement sur les charges.
Les impôts sur la production sont en hausse de 1,6% du fait de la progression des impôts fonciers, tandis que les subventions sont annoncées en retrait de 2,4% sur un an, à 7,8 milliards d’euros. «Cette baisse résulte essentiellement de la diminution des aides du premier pilier de la PAC», éclaircit la CCAN. Malgré la progression des charges et la baisse des subventions, l’augmentation de la valeur de la production permettrait une croissance du résultat de l’agriculture française.
Le secteur porcin plombe les chiffres
Les prix sont à la hausse en production végétale, avec + 6,5%, après la baisse de - 4,1% de 2017, en lien avec l’augmentation des prix des céréales (la baisse de l’offre mondiale ayant profité aux producteurs français), mais aussi l’augmentation du prix des légumes (+ 9,7%), et des pommes de terre (+ 45%) qui compensent largement leur baisse de 2017.
En volume, la production végétale est en croissance de + 2,2% en volume, tirée par l’augmentation du vin, dont la production bondit à + 28,5% après la récolte exceptionnellement faible de 2017. Les autres filières végétales sont toutes orientées à la baisse, impactées par la sécheresse estivale. «L’essentiel des impacts négatifs de la sécheresse pourrait se manifester en 2019», alerte d’ailleurs l’APCA.
Considérées comme un tout, les productions animales verraient la valeur de leur production diminuer de 1,2% en 2018. Motif : les prix déclinent et les quantités stagnent. Dans le détail, c’est surtout le secteur porcin qui fait face à d’importantes difficultés. Suite à la contraction de la demande chinoise, les prix chuteraient de 12,7% sur l’ensemble de l’année 2018. Avec des volumes stables, la valeur de la production porcine fléchirait alors de 13% en valeur.
Conjoncture favorable pour les bovins
Les autres secteurs qui verraient leur production diminuer en valeur sont celui des veaux (-3,2%) et des poules pondeuses (-7,7%). Une diminution en trompe l’œil pour les œufs qui, suite à la crise du Fipronil, avaient vu leur prix s’envoler de 26,8% en 2017.
Le CCAN prévoit peu d’évolution pour les secteurs laitiers et petits ruminants. La production d’ovins et de caprins est stable : la baisse des volumes est compensée par le redressement des prix. Même constat pour le lait. Les livraisons sont quasiment stables et le prix ne progresse que très légèrement (+0,6%).
À l’inverse, certains secteurs tirent profit d’une conjoncture plus favorable. La production de gros bovins augmente de 1% grâce à une légère amélioration des prix (+1,1%), sous l’effet d’une hausse de la consommation. «Une évolution peu fréquente dans un secteur où la tendance est à l’érosion de la demande intérieure depuis des années», s’étonnent les chambres d’agriculture. La production de volailles de chair repart également à la hausse (+5,7%) après l’épisode d’influenza aviaire de l’année dernière qui avait entraîné une baisse de 4% de la production.
Aussi, considérée comme une branche d’activité, l’agriculture française semble poursuivre une tendance haussière, mais c’est surtout le secteur vinicole qui tire les résultats, alors que certains secteurs font face à des situations plus tendues.
Réactions des organisations professionnelles
«En dépit de la hausse du résultat, les agriculteurs auront sans doute un ressenti différent», explique Claude Cochonneau, président des chambres d’agriculture (APCA), dans un communiqué de presse du 18 décembre, en réaction à la publication des comptes prévisionnels de l’agriculture. Pour l’APCA, le «redressement significatif du résultat» de la branche agricole est lié à «un coup de frein sur les charges» et à «un ralentissement de l’investissement». Et même si «de nombreux secteurs d’activité ont connu une conjoncture favorable», certains secteurs, comme le porc, connaissent de fortes baisses des prix, déplorent les chambres d’agriculture.
Un constat partagé par la FNSEA pour qui, cette analyse globale de l’agriculture «cache une réalité très différente, où le rattrapage de certains vient masquer les autres variations, avec des filières qui sont particulièrement affectées». Le syndicat majoritaire dénonce, également, la baisse structurelle de la valeur ajoutée de la branche agricole, une tendance à la destruction depuis 15 ans, «malgré les efforts des agriculteurs pour améliorer la qualité des productions et répondre aux attentes du marché».
Enfin, pour les chambres d’agriculture comme pour la FNSEA, l’augmentation des charges qui se profile dans les prochains mois est un motif sérieux d’inquiétude. «Outre les conséquences de la sécheresse, la remise en cause des exonérations de charges sur l’emploi salarié pourrait grever durablement le résultat agricole. Ainsi, en dépit de la hausse du résultat, les agriculteurs auront sans doute un ressenti différent», prévient l’APCA. La FNSEA dénonce de son côté la hausse de la redevance pour pollution diffuse prévue dans le PLF 2019, rappelant que le résultat courant avant impôt (RCAI) en 2017 est «insuffisant pour la pérennité de notre activité», d’autant plus qu’il reste négatif pour 14% des exploitations agricoles.