Crises de l’élevage : Bruxelles est loin du compte
Les ministres de l’agriculture réunis le 7 septembre n’ont pas entendu la détresse des paysans qui manifestaient au même moment devant le siège du Conseil à Bruxelles, à l’appel du COPA-Cogeca. Le principal syndicat européen d’agriculteurs a regretté une proposition «bien loin du compte» pour venir en aide aux secteurs en difficulté du lait et du porc qui paient le prix de l’embargo russe. La Commission a proposé une enveloppe d’urgence de 500 M€ financée essentiellement par le super-prélèvement laitier.
Atmosphère de siège, ce lundi 7 septembre à Bruxelles, lors de la manifestation qui a réuni près de 7.000 agriculteurs et 1.500 tracteurs. Il y avait bien entendu un fort contingent de Français, venus surtout du nord et de l’est de la France, mais aussi beaucoup de Belges — Flamands et Wallons —, des Allemands et de fortes délégations venues de tous les pays de l’Union européenne.
Les autorités belges avaient déployé un important dispositif de sécurité pour contenir les manifestants et bloquer l’accès du Justus Lipsius, le siège du Conseil des ministres de l’Union européenne. Ce qui n’a pas manqué de susciter une tension extrême. La police belge a fait usage de gaz lacrymogènes et de canons à eaux pour empêcher les manifestants de forcer les barrages mis en place. Ceux-ci ont répliqué par des feux de pneus, des jets de paille et d’œufs.
La France en pointe
Réunis à l’appel du COPA-Cogeca, les agriculteurs étaient venus faire pression sur les ministres de l’agriculture en Conseil exceptionnel à la demande de la France. Comme à Paris quelques jours plus tôt, les mêmes revendications traversent l’Europe: «Moins de normes et plus de prix». «Nous attendons que les prix remontent, car nos charges ne cessent de grimper», proteste Caroline Deraux, jeune agricultrice, productrice de lait et de viande bovine et ovine dans le Nord.
«À cause des normes, nous avons le couteau sous la gorge pour rembourser nos emprunts, car les prix ne suivent pas», renchérit Sullivan Louis, producteur de lait dans les Ardennes. Même ressenti chez nos voisins belges. «Nous avons les mêmes prix qu’il y a 25 ans, les coûts n’ont cessé d’augmenter pour produire le lait et la viande», insiste André Vanhisnnisdael, producteur de lait et de viande bovine en Wallonie. Sur le trac qu’il distribue le coût de production du lait atteint 40 cts/litre, quand il est payé 25 cts/litre. Quand le porc est vendu que 1,05€kg, alors que le coût de production s’élève à 1,30€kg.
Seulement 500 millions d’euros
Pour répondre à la détresse des agriculteurs, le commissaire Jyrki Katainen, le vice-président en charge de l’investissement qui a remplacé le commissaire à l’agriculture, Phil Hogan, malade, n’a mis sur la table qu’une enveloppe de 500 millions d’euros. Et encore s’agit-il que d’un retour aux agriculteurs d’une partie de l’enveloppe des pénalités versées pour dépassement des quotas en 2014-2015 qui devrait atteindre près de 900 millions d’euros.
Bruxelles a écarté la possibilité d’un relèvement du prix d’intervention de la poudre et du beurre qui était réclamé par la France, la Belgique et l’Espagne. La Commission européenne ne déroge pas à son credo libéral. «Ces dernières années, la politique agricole commune a pris une direction orientée vers le marché. Cela reste la base de notre action», a expliqué Jyrki Katainen.
Pour l’exécutif européen, l’intervention sur les marchés n’est plus de mise. «Au moment où il existe un déséquilibre des marchés, augmenter le prix payé dans le cadre de l’intervention publique ne sera d’aucune utilité pour restaurer l’équilibre du marché et créerait plutôt un débouché artificiel pour les produits laitiers de l’Union européenne», renchérit le commissaire. La Commission a préféré de vagues mesures de stockage privé pour la poudre de lait, le fromage et le porc et des aides supplémentaires à la promotion à l’exportation inscrites dans le budget 2016, en attendant que les prix remontent et que la crise passe…
«Une forme de mépris»
Pas de quoi satisfaire le ministre de l’agriculture, Stéphane Le Foll, qui s’est montré très déçu à l’issue du Conseil. «Nous pensons toujours que la bonne mesure est un relèvement du prix d’intervention», a-t-il déclaré. Le COPA-Cogeca estime que la décision des ministres est «bien loin du compte». «Il est clair qu’un paquet d’aides de 500 millions d’euros est bien loin du compte pour indemniser les agriculteurs de la perte de leur principal marché d’exportation, la Russie, qui vaut 5,5 milliards d’euros par an», a déclaré le syndicat européen dans un communiqué.
«Les agriculteurs européens paient le prix de la politique internationale. Les prix sont inférieurs aux coûts de production dans de nombreux pays et le revenu des agriculteurs la moitié du niveau moyen», déplore M. Pesonen, secrétaire général du COPA-Cogeca. «Il n’y a eu aucune réponse aux revendications, notamment sur l’embargo russe. Je considère qu’il y a une forme de mépris», de la part des commissaires «qui ne sont plus dans la vraie vie», a déclaré Xavier Beulin, présent à la manifestation à Bruxelles. Pour le président de la FNSEA, «le Conseil des ministres, prisonnier de ses divisions, de ses concurrences internes, dans l’incapacité d’imposer une gestion de crise digne de ce nom et à la hauteur des enjeux».