Dans la chapelle landaise de Notre-Dame du rugby, la ferveur du ballon ovale monte au ciel
Le département des Landes recense trois sanctuaires hors normes. À Bascons, on vénère le milieu des écarteurs et sauteurs de courses landaises, à Labastide-d’Armagnac, Notre Dame veille sur les cyclistes et à Larrivière Saint-Savin, une chapelle est consacrée à Notre Dame du rugby. Tous les lundis de Pentecôte, amateurs et acteurs du ballon ovale s’y retrouvent pour une journée de mémoire et de convivialité.
Le 10 septembre 1964, le monde sportif landais et le rugby hexagonal sont endeuillés par le décès de trois joueurs de l’Union sportive de Dax, Raymond Albaladéjo, Emile Carrère, Jean Othats, qui trouvent la mort sur la route de retour d’un match amical à Bègles. À Larrivière-Saint-Savin, bourgade de 600 habitants à une quinzaine de kilomètres de Mont-de-Marsan, l’abbé Michel Devert, ancien enseignant, a, parmi ses nombreux centres d’intérêt, le rugby et l’histoire.
Grand amateur de ballon ovale, il côtoie les rugbymen des clubs locaux et il connaît les trois Dacquois tragiquement disparus. Sa seconde passion l’amène à se piquer de curiosité pour les ruines d’une chapelle enfouie sous les ronces, dont «des documents du XIIe siècle attestent qu’elle a été occupée par les Chevaliers de la foi, ordre de l’évêché d’Auch» rappelait Michel Devert.
La communion entre rugby et religion
Inspiré par l’abbé Joseph Massie, qui fonda en mai 1959 le sanctuaire Notre Dame des cyclistes dans une chapelle restaurée à Labastide-d’Armagnac, l’abbé Devert décide, alors, de réaménager l’ancien oratoire du IVe siècle et de le rebaptiser, Notre-Dame du rugby pour en faire un sanctuaire dédié aux pratiquants du ballon ovale. Avec la bénédiction de l’Église et l’aval de la FFR, on commence par refaire la toiture puis on s’attaque à l’intérieur en piteux état.
De Gabarret où il a été nommé, l’abbé gère soigneusement l’avancement des travaux. Avec opiniâtreté et diplomatie, il sollicite ceux qui peuvent l’aider dans sa mission. De l’évêque au ministre de la Jeunesse et des sports, des élus de la Fédération française de rugby à ceux des comités voisins, des politiques locaux aux élus nationaux, le chapelet des sollicités s’étire en longueur. À Grenade-sur-l’Adour, il organise un match amical d’avant-saison entre le Stade montois et l’Union sportive dacquoise dont la recette alimentera les fonds de rénovation.
Flamboyance bénie
Et le 16juillet 1967, Monseigneur Bézac, évêque d’Aire et de Dax ouvre l’oratoire au culte en y célébrant une messe dans une chapelle et sur un autel rénovés. Pour l’occasion l’abbé Michel Devert peut déclarer: «Le monde du rugby aura sa chapelle bien à lui, pour veiller sur ses rudes gars, les protéger du mal, les aider dans leurs difficultés. Avoir la garantie de la protection divine, savoir où demander la lumière quand l’épreuve surgit, n’être plus seul dans la lutte quotidienne, se retrouver sous le regard de Notre-Dame, n’est-ce pas une sécurité et l’une des joies de la terre?».
Des paroles, avouons-le, qui débordent largement le cadre rectangulaire et exigu du terrain de jeu… Bien qu’inauguré, la fin des travaux de ce lieu de prière et de dévotion aux joueurs de la planète rugby n’en est pas pour autant sifflée. À cette époque, un vitrail avait été inauguré en Angleterre en mémoire des footballeurs et accompagnateurs de Manchester United, morts en février1958, dans un crash au décollage de l’aéroport de Munich enneigé. À Notre Dame du Rugby, c’est un ancien capitaine du Stade Montois, Pierre Lisse, également artiste, qui dessine le vitrail de La Vierge à la touche.
Comme les trois autres vitraux, modernes et très colorés qui éclairent la chapelle, la symbolique mélange l’inspiration chrétienne rugbystique. Ici les auréoles sont bien évidemment ovales. On doit aussi à Pierre Lisse la statue de la Vierge du rugby. À droite du portail d’entrée, sous le clocher, un enfant donne un ballon à la Vierge, comme une offrande et une passe associées. En 1971, après des années de travaux, on touche au but avec l’achèvement du clocher et, peu après, les cloches peuvent carillonner à la volée lors d’une belle cérémonie de baptême.
185 maillots et crampons d’un autre âge
La richesse de cette chapelle à nulle autre semblable se trouve surtout dans ce que les gens y apportent. À l’intérieur, impeccablement alignés sous les vitrines de verre, 185 maillots, célèbres comme anonymes, accrochés aux murs comme jadis aux portemanteaux des vestiaires, des chaussures à crampons d’un autre temps, des tickets de matchs, des ballons, des photos, des témoignages anodins de blessés du rugby…
À côté de l’autel en marbre de l’ancienne chapelle, un livre d’or recueille réflexions, messages et intentions de prière des visiteurs. En une cinquantaine d’années, le site perché sur une colline surplombant le village et l’Adour, est devenu le lieu de pèlerinage des amateurs de rugby. Chaque lundi de Pentecôte, on s’y retrouve pour la journée de l’Amitié en mémoire des joueurs et amis disparus.
Après la messe sur l’esplanade de Notre Dame du rugby, place au pique-nique partagé avec barbecues pour les grillades dans un ravissant cadre champêtre. Des illustres Albert Ferrasse à Bernard Laporte en passant par Pierre Camou aux incognitos venus des différents coins de l’Hexagone et de l’étranger, ce sont plus de 10.000 visiteurs qui viennent en pèlerinage chaque année dans ce lieu unique et émouvant.
Une vraie satisfaction pour l’abbé Michel Devert inhumé en 2012 dans le sanctuaire. Nul doute que depuis Larrivière, ou tout là-haut, bien au-delà des poteaux de rugby, «le sourire, l’impertinence malicieuse et le non-conformisme» de cet «homme de respect et de fidélité qui relevait d’un amour profond pour l’être humain» restent dans la mémoire de ses innombrables amis. Ainsi, selon son souhait, l’ancien oratoire Saint-Savin, devenu Notre Dame du rugby, continuera de veiller sur les populations voisines, mais étendra aussi sa bienveillante protection au monde du rugby.
Gilbert Delahaye