Gouvernement : les chantiers de Marc Fesneau
La prise de fonction de Marc Fesneau va se faire sur les chapeaux de roues, car il doit arbitrer des dossiers brûlants dès les prochains jours. Il va devoir notamment finaliser dans l’été la négociation de la déclinaison française de la Pac (PSN), la réforme de la gestion des risques, et celle de la HVE.
1 Déclinaison française de la PAC : une négociation à terminer
Le sujet est brûlant. Il a été évoqué par la présidente de la FNSEA lors de sa première entrevue avec Marc Fesneau, le 23 mai. La France doit envoyer début juin la deuxième version de son plan stratégique national (PSN), la déclinaison française de la future Pac, qui doit s’appliquer au 1er janvier 2023. Bruxelles avait émis de nombreuses critiques, techniques et politiques, concernant la première version que le ministère de l’Agriculture avait envoyée en fin d’année dernière. Elles portaient notamment sur l’ambition environnementale et la répartition des aides.
Sur le plan politique, une réponse préliminaire avait été faite par Julien Denormandie, qui ne laissait pas présager de virage. En revanche, certaines remarques techniques de Bruxelles seront suivies d’effets. Les services de la DGPE (ministère de l’Agriculture) ont annoncé des modifications concernant le niveau de paiement dédié à la HVE et la bio dans le cadre des éco-régimes et les modalités d’application des BCAE 7 et 8, qui portent sur les obligations de rotations et de couverture des cultures. Deux sujets potentiellement explosifs.
2 Accès à l’alimentation et nutrition : un texte déjà dans les tuyaux
C’est le sujet que Julien Denormandie regrettait de ne pas avoir pu faire avancer : l’accès à l’alimentation et les politiques nutritionnelles. Marc Fesneau a évoqué sa mise en œuvre avec les représentants de la FNSEA et des JA. Elle devrait intervenir «en deux temps», selon les syndicats. Une «première phase» destinée à répondre aux «besoins urgents» devrait être dévoilée dans le cadre du projet de loi sur le pouvoir d’achat, annoncé par la porte-parole de l’exécutif Olivia Grégoire le 23 mai. La porte-parole avait précisé que le texte serait soumis «à la représentation nationale sitôt qu’elle sera élue.» Une «seconde phase» pourrait intervenir plus tard dans l’année, selon les syndicats, qui n’ont pas eu de précision sur le contenu du dispositif.
Dans un communiqué du même jour, la FNSEA et la Coopération agricole (LCA) ont appelé à «la mise en place urgente» du chèque alimentaire. Ce dispositif avait été étudié, sans aboutir, lors du précédent quinquennat, puis promis en début du nouveau mandat par Emmanuel Macron. Les organisations professionnelles demandent un système «simple, pérenne, ambitieux, et doté d’un budget qui pourra augmenter progressivement au regard des résultats engendrés.»
3 Inflation : suivi du plan de résilience et des renégociations commerciales
Le nouveau ministre de l’Agriculture devra également gérer les effets de l’inflation des matières premières. Il s’agira d’abord de donner corps aux différentes annonces contenues dans le volet agricole du plan de Résilience, annoncé par Emmanuel Macron au dernier Salon de l’agriculture pour faire face aux effets de la guerre en Ukraine. Si les annonces concernant l’alimentation animale, l’énergie et les carburants sont déjà mises en œuvre, plusieurs autres mesures restent à présenter. Julien Denormandie avait notamment promis trois «plans», qui n’ont pas encore fait l’objet de concertations : fruits et légumes, souveraineté azote, souveraineté énergétique, agricole et alimentaire.
Marc Fesneau devra aussi s’assurer de la bonne tenue des «renégociations commerciales». Suite à l’échec des négociations commerciales, qui se sont achevées début mars en pleine guerre en Ukraine, le ministre de l’Agriculture avait demandé aux acteurs de «renégocier.» Les syndicats agricoles avaient fixé «une date butoir» à la fin du mois de mai. Selon la loi, les conditions générales de ventes (CGV) prévoient une période maximale d’un mois pour renégocier.
L’inflation devrait avoir de nombreuses conséquences indirectes dans les filières agricoles. Elle ne devrait pas arranger les affaires de la filière bio, dont certaines productions sont déjà en crise (lait, œufs), ou des fruits et légumes, dont la consommation est déjà en baisse depuis plusieurs mois. L’inflation se glisse jusque dans les dégâts de gibier, dont les indemnisations sont indexées sur la valeur des productions agricoles. Durant la campagne présidentielle, Emmanuel Macron avait d’ailleurs promis, par la voix de Marc Fesneau, un coup de pouce aux chasseurs dans ce dossier.
4 Élevage : crises sanitaires à endiguer, réforme du bien-être animal en vue
Julien Denormandie a rappelé à Marc Fesneau que le ministère de l’Agriculture était celui des crises, notamment sanitaires. Plusieurs sont encore en cours, dont deux devraient l’inquiéter durant les mois à venir. Il s’agit d’abord de l’influenza aviaire. Les mises en place reprennent dans l’Ouest, mais une nouvelle zone d’infection s’est développée depuis fin mars dans la région du Lot, de la Dordogne et de la Corrèze qui enregistre à ce jour plus de 100 foyers. Le ministre devra tirer les leçons de ce nouvel épisode en matière de biosécurité, et poursuivre le chantier de la vaccination : une expérimentation a été lancée en France et des négociations débutent à Bruxelles.
La tension monte également à l’autre bout de la France, en Haute-Savoie, autour de la brucellose. Saisi par un recours collectif déposé par des ONG environnementales, le tribunal administratif de Grenoble a suspendu, le 17 mai, l’arrêté du préfet de Haute-Savoie autorisant jusqu’à 170 abattages indiscriminés de bouquetins dans le massif du Bargy pour lutter contre la brucellose. Quelques jours plus tard, des agriculteurs déversaient d’importantes quantités de fumier et de lisier devant les locaux de FNE Haute-Savoie.
La question du bien-être animal devrait également occuper Marc Fesneau dans les prochains mois. Il s’agira d’abord de suivre la mise en application de l’ovosexage dans les filières avicoles, dont les couvoirs doivent être équipés d’ici fin 2022, grâce à un financement interprofessionnel qui doit encore être validé par les autorités françaises et européennes. Puis en 2023, la Commission européenne doit devoiler son projet de règlement sur le bien-être animal. L’année 2022 sera également celle de la mise en place de la contractualisation dans la filière bovine, et de la fin de la castration des porcelets.
5 Sécheresse probable cet été, réforme de l’assurance à finaliser
C’était l’objet de son premier déplacement, dans le Cher, touché par une sécheresse printanière comme une grande partie de l’Hexagone et de l’Europe. Le manque de pluies a déjà entamé le potentiel des cultures, même si des précipitations avaient touché de nombreuses régions ces derniers jours. Le service de prévisions de la Commission européenne a révisé le 23 mai les rendements des cultures d’hiver à la baisse dans l’UE. Les prévisions de Météo-France font craindre des températures élevées et un manque de pluviométrie durant les prochains mois.
Avec son délégué interministériel de l’eau, le préfet Veau, Marc Fesneau aura un œil sur l’application des décrets issus du Varenne de l’eau, qui doivent paraître prochainement. Le ministre devra par ailleurs finaliser la réforme de la gestion des risques climatiques, dont les textes d’application restent encore à paraître. Encore dans le flou sur les paramètres (seuils, franchises) du nouveau régime d’assurance multirisques climatiques (MRC, ou assurance récolte) qui doit entrer en vigueur au 1er janvier 2023, les assureurs ne désespèrent pas d’en savoir plus «d’ici le 15 juin», selon le directeur du marché de l’agriculture et de la prévention de Pacifica (groupe Crédit Agricole) Jean-Michel Geeraert.
6 Loi d’orientation sur l’installation : une grande concertation à venir
C’était la mesure phare du programme agricole d’Emmanuel Macron pour la présidentielle 2022 : une loi d’orientation agricole pour favoriser le renouvellement des générations. Julien Denormandie avait prévenu qu’une telle loi, notamment si elle devait toucher au foncier agricole, requerrait un long effort de concertation de la part des parlementaires. Son examen ne devrait donc pas intervenir avant plusieurs mois, après «beaucoup de consultations, par l’intermédiaire du conseil supérieur d’orientation (CSO)», rapporte la présidente de la FNSEA, Christiane Lambert. Les JA sont plus optimistes et espèrent le début des consultations dès après les législatives.
Le périmètre de la loi n’est pas encore vraiment défini. «Cette loi d’avenir porte sur l’installation et la transmission», a simplement précisé Audrey Bourolleau, durant la campagne. Cette dernière avait simplement dressé quelques pistes : «Le syndicat Jeunes Agriculteurs dit qu’il y a des simplifications à faire pour être plus efficace, pour mieux accompagner les nouveaux entrants. C’est dans cette optique que nous voulons travailler. Nous voulons aussi mettre en œuvre le fonds de portage du foncier qui a été annoncé.» Un récent rapport du CGAAER (ministère de l’Agriculture) évoquait l’intérêt des parcours alternatifs et des conditionnalités vertes dans les politiques d’installation. Sera-t-il lu et entendu par les Parlementaires ? À suivre.
7 Planification écologique : une méthode qui reste à préciser
Les prochains mois vont être également chargés sur les dossiers environnementaux. À commencer par la réforme de la haute valeur environnementale (HVE), le 3e niveau de la certification environnementale (C2E), qui doit donner accès aux éco-régimes de la PAC. Le projet de réforme doit être présenté en CNCE (Commission nationale de la certification environnementale) d’ici «fin mai-début juin 2022», pour une entrée en vigueur «dès septembre 2022.»
En parallèle, un nouvel agenda se profile : celui de la «planification écologique», dont les premiers éléments de méthode ont été présentés aux ONG par la Première ministre. Selon Arnaud Schwartz, président de FNE, «chaque ministère aura sa feuille de route pour la planification écologique», y compris le ministère de l’Agriculture. Il devrait notamment intégrer la déclinaison agricole de la stratégie nationale bas carbone (SNBC), dont la prochaine mouture a commencé à être discutée. Parmi les sujets brûlants : la trajectoire de réduction du cheptel et les changements alimentaires.
Sa collègue de la Transition écologique devra, en parallèle, préparer une Stratégie nationale pour la biodiversité, qui devrait notamment inclure des mesures concernant les aires protégées. Elle aura également à mettre en œuvre la «nouvelle boîte à outils» pour la chasse, promise par Emmanuel Macron : il devrait notamment s’agir d’autoriser les louvetiers à recourir aux tirs de nuit, aux tirs à l’appâtage, ou encore au piégeage.
Le gouvernement devra aussi se pencher à moyen terme sur plusieurs dossiers pesticides. Il s’agit notamment de l’éventuelle reconduction de la dérogation néonicotinoïdes en fin d’année, ou encore les mesures à prendre pour atteindre les objectifs Ecophyto.