Influenza aviaire : «Il était nécessaire d’agir vite»
Jean-Luc Guérin est enseignant-chercheur à l’École nationale vétérinaire de Toulouse, spécialisé en pathologie aviaire. Il est notamment l’auteur du livre «Maladies des volailles», une référence pour les professionnels de la filière. Il enseigne les bases de la production et des maladies des volailles aux futurs vétérinaires. Son éclairage scientifique permet de mieux comprendre les mesures d’éradication de l’influenza aviaire décidées par les pouvoirs publics.
L’activité de recherche de Jean-Luc Guérin concerne plus particulièrement l’étude des virus aviaires et notamment les virus influenza. Au travers des différentes facettes de son métier, il continue de visiter fréquemment de nombreux élevages. Cet enseignant-chercheur et éminent spécialiste des pathologies aviaires apparaît aujourd’hui comme un spécialiste de premier plan des problématiques sanitaires en aviculture. Son point de vue autour de l’épizootie d’Influenza aviaire se révèle donc précieux.
Quel regard de scientifique portez-vous sur l’épisode actuel d’Influenza aviaire?
Jean-Luc Guérin - Je crois qu’il est important de resituer le contexte. Cet épisode a commencé le 24 novembre en Dordogne. Dans les jours qui ont suivi, d’autres foyers isolés ont été décelés dans ce même département. Jusque-là, la situation pouvait sembler assez simple. Mais assez vite, les foyers se sont multipliés, dans les Landes d’abord avant de toucher d’autres départements. Dans le même temps, on a pu observer que plusieurs souches de virus circulaient de manière concomitante, H5N1, puis H5N2 et H5N9. Leurs présences sont diffuses sur tout le territoire du grand Sud-Ouest. D’un point de vue sanitaire, la situation est alors devenue beaucoup plus complexe, même si la plupart des foyers concernent des palmipèdes qui n’ont exprimé aucun signe clinique. On vient clairement de vivre un scénario inédit, avec une extension rapide des foyers et un rôle prépondérant joué par les canards dans cette épizootie.
Pourquoi ne pas imaginer vivre avec ce virus?
J.-L. G. - Le principal problème est que celui-ci est extrêmement pathogène pour les poulets, les dindes ou encore les pintades. D’ailleurs, une dizaine de foyers a concerné ces espèces avec des mortalités importantes. En outre, plus on attend, plus on prend le risque de voir ce virus muter. Ce phénomène est parfaitement connu dans le cas des virus Influenza aviaires. Ils ont la capacité d’évoluer très rapidement, au risque de devenir encore plus pathogènes. Dans un contexte dans lequel plusieurs souches cohabitent, si l’on n’intervient pas très vite, le danger devient majeur. Plus globalement, les filières avicoles françaises ne peuvent pas vivre avec ces virus, elles doivent retrouver au plus vite leur statut indemne, dans l’intérêt de tout le monde.
Ce constat justifie-t-il les mesures d’éradication?
J.-L. G. - Au début, chaque foyer était traité de manière individuelle, avec abattage de l’élevage infecté et mise en place de zones de protection et de surveillance. Cette logique, qui a tout de même tenu jusqu’à la semaine dernière, a montré ses limites. Il est apparu évident qu’une lutte foyer par foyer ne permettrait jamais d’éradiquer le virus. C’est un peu comme un incendie que l’on cherche à éteindre, mais pour lequel on laisserait quelques braises se développer par endroits. Pour s’en sortir, la seule solution était de changer de méthode. Les pouvoirs publics ont pris cette décision sur la base des analyses réalisées jusque-là.
À la vue des expériences internationales, on sait que la meilleure option en pareil cas consiste à dépeupler la zone pour réaliser un vide sanitaire. En quelque sorte, il s’agit de ne plus offrir de carburant au virus. Par le passé, cela a été réalisé en Italie au début des années 2000, ou encore au Canada en 2004, avec des abattages considérables dans une province du pays. Les conditions du succès sont la rapidité et la simultanéité de l’intervention dans la zone concernée. La décision a pu surprendre, voire choquer, mais encore une fois, d’un point de vue technique, il m’apparaît évident qu’il fallait aller très vite. Il était impossible de laisser les choses se poursuivre.
Le processus d’éradication oblige-t-il à un vide sanitaire global?
J.-L. G. - En cas de désynchronisation des dépeuplements, les échanges par différents vecteurs ne pourraient jamais être empêchés. C’est une certitude. On sait maintenant que de nombreux foyers ont été le fruit des transports d’animaux. Aujourd’hui, le niveau de contamination est tel que les mesures retenues m’apparaissent inéluctables. C’est pourquoi, d’un point de vue purement scientifique, je crois qu’il s’agit d’une solution raisonnable.
Bien entendu, ce dispositif ne sera efficace que si tout le monde y participe, afin d’éviter que subsistent des poches résiduelles de virus. Pour que la démarche atteigne son objectif, il est nécessaire de réaliser un vrai vide, après un nettoyage et une désinfection permettant de remettre en place des canetons dans des conditions sanitaires optimales. Cette étape de nettoyage-désinfection sera donc capitale.
Quelle doit être la durée du vide sanitaire?
J.-L. G. - Il est difficile de répondre précisément à cette question. Si le vide sanitaire est bien fait, dans les conditions que je viens de citer, une durée d’un mois est largement suffisante. Ce virus n’est pas très résistant dans l’environnement. Encore une fois, cela implique que tous les producteurs soient solidaires. Le virus est capable de profiter de ceux qui ne joueront pas le jeu. Avec mon regard extérieur, je crois notamment qu’il est nécessaire de dépasser les divergences qui, inévitablement, peuvent apparaître entre les différents types de producteurs concernés.
Pour finir, que sait-on de l’origine de ces virus?
J.-L. G. - On ne sait pas encore comment ils ont été introduits. Les analyses moléculaires permettront sans doute de mieux les identifier et tracer leur évolution. Le rôle de l’avifaune sauvage reste à évaluer, notamment dans la perspective du repeuplement après le vide sanitaire. En revanche, il est clair que les canards ont joué un rôle d’amplificateur dans la propagation des foyers.
Propos recueillis par Fabien Brèthes