La hausse officielle du revenu agricole ne reflète pas les réalités
Si les comptes de l’Agriculture prévoient une hausse du revenu agricole 2015 moins importante que ce qui était prévu en décembre, ces «bons» résultats contrastent avec la situation vécue sur le terrain par les exploitants victimes, notamment, de la crise de l’élevage et de la sécheresse.
Pas besoin de statistiques pour savoir que l’année 2015 a été extraordinairement difficile pour certains domaines, dont surtout les secteurs de l’élevage. Les données du revenu agricole pour l’année passée confirment le phénomène. Si la hausse moyenne de la valeur ajoutée par exploitant (actif non salarié) a progressé de 9,3%, (4,8% si l’on tient compte des actifs salariés et non salariés), ce résultat cache une sensible progression pour plusieurs productions végétales et une dégradation de l’ensemble pour les produits de l’élevage. C’est le grand écart, en somme…
Les syndicats agricoles n’ont pas manqué de fustiger une statistique qui est une moyenne cachant de fortes disparités selon les situations et les régions. Échaudés par les années antérieures, les statisticiens restent prudents. Ils ne publient pas de données précises sur le revenu par secteur. Le RCAI (résultat courant avant impôt) par secteur de production n’est pas calculé, ou en tout cas divulgué. Il n’empêche: les données concernant la valeur des productions agricoles donnent une première approche des performances par secteur.
Le grand écart entre régions et productions
La valeur des productions végétales augmente de 2,5% et celle des productions animales est en baisse de 4,6%. Au sein même des végétaux, de grands écarts apparaissent entre le maïs qui s’affiche à - 17,5% et les pommes de terre dont la valeur de la production progresse de 33%. Pour les productions animales, les gros bovins à viande semblent ne pas s’en sortir trop mal, à 2,2%, face au porc qui régresse de 6%
Ces données ne sont pas celles du revenu. Pour calculer celui-ci, il faut déjà déduire les charges. Par chance, elles ont été plutôt sages l’an dernier. La valeur des aliments du bétail consommés a régressé de 3,5%, grâce au prix en baisse, surtout. Baisse également pour les engrais (- 1%) et surtout pour l’énergie. Au total, une certaine atténuation de la rigueur des marchés grâce à des achats moins coûteux.
Phénomènes de marché
Cette sagesse des intrants n’empêche pas l’agriculture française de subir de plein fouet les phénomènes de marché. À l’exception très notable du blé tendre, les prix des grandes cultures ont progressé grâce à une offre qui s’est souvent réduite. Mais les producteurs de maïs, dont le volume de production a régressé de 25%, se seraient bien passés de cette situation. La situation est inverse pour le blé tendre: hausse sensible de la production (9,5%) entraînant une baisse des prix supérieure à 3%.
C’est aussi ce qui s’est passé en production porcine où la hausse de production s’est accompagnée d’une baisse de plus de 7% des prix. Le maintien de l‘embargo russe sur les productions européennes a frappé dur. En production laitière, même si celle de la France a été sage, les prix ont durement ressenti les hausses de collecte dans les pays concurrents de l’UE. De fait, et bien que les données définitives sur le revenu agricole manquent, ces statistiques montrent à quel point l’Europe souffre d’une absence de régulation des marchés.
Les subventions à l’exploitation ont progressé d’un demi-milliard d’euros, passant de 8,052 à 8,55 milliards d’euros. Le paiement de base, qui était de 6,3 milliards en 2014, est maintenant divisé en un paiement de base de 4 milliards et un paiement vert de 2,19 milliards. L’ICHN a augmenté de 300 millions d’euros en absorbant la prime herbagère de 208 millions d’euros, prime qui a été supprimée. Le plan de soutien à l’élevage s’est traduit par 175 millions d’aides supplémentaires aux éleveurs tandis que les indemnités au titre des calamités agricoles augmentent de près de 100 millions. Les bonifications d’intérêt sont passées de 123 à 263 millions d’euros. Le CICE poursuit sa progression: il est estimé à 330 millions contre 220 en 2014. Quant aux aides liées aux produits, elles sont passées, selon l’Insee, de 295 millions à 308 millions d’euros pour les productions végétales et de 794,5 à 872,9 millions pour les productions animales.
Peu de croissance à long terme
Toutes ces aides n’ont pas empêché, et c’est peut-être ce qu’il y a de plus grave, la valeur économique de l’agriculture française de s’éroder. Ou en tout cas de peu progresser. L’Insee estime que le volume de production a reflué l’an dernier de 1,6%. Ce n’est pas colossal, mais c’est une moyenne, tempérée par la performance de quelques productions. Sur le long terme, le constat est préoccupant. Si l’on applique l’indice 100 à la valeur de chaque production en 2010, l’indice du blé tendre pour 2015 est à moins de 83, celui du maïs culmine à 84, les betteraves sont à moins de 90. Les fruits sont à 110 mais les légumes à 97. Les vins d’appellation sont à 132 et les vins courants à 125. La viande porcine est à 112 et les gros bovins à 117. Quant au lait, en cinq ans, la valeur de la production n’a quasiment pas bougé (indice 104). Cela signifie que sur le long terme, l’augmentation de la valeur de la production est faible et lente.
Mais le problème majeur, aujourd’hui, est que cela passe par des stades de grande volatilité. D’où, pour les exploitants, une difficulté de se projeter dans l’avenir et donc d’investir dans son outil de production. Ces investissements ont chuté en 2013 et 2014 mais se stabilisent en 2015. Alors même que des technologies nouvelles arrivent et que les efforts pour une agriculture plus écologique nécessitent d’investir.