Le marché viticole en panne sèche
Le monde viticole enregistre un printemps catastrophique au niveau des ventes. Cette situation entraîne une dangereuse augmentation des stocks. L’heure de la reprise est attendue avec impatience tout comme un geste fort de l’État.
Boire un canon, c’est sauver un vigneron. Une citation populaire, plus que jamais d’actualité… Comme bon nombre de filières, le monde de la vigne fait face aux conséquences directes de la crise sanitaire avec des ventes en très nette diminution en raison de la fermeture de multiples circuits de distributions. À quelques jours du déconfinement et à l’approche de la saison estivale, les acteurs viticoles espèrent que la situation va se décanter rapidement.
Boom du E-commerce
Au Pays basque, avant que ne sonne le début du confinement, le développement des vignes, du haut de leurs terrasses, laissait planer l’optimisme. «On est sur une bonne année avec, jusqu’à maintenant, peu de problèmes sanitaires et des conditions clémentes», commente Christophe Larrouquis, œnologue de la cave d’Irouléguy. Puis, le Covid-19 est venu assombrir l’ambiance…
Le directeur Christophe Mazaud est inquiet. Et pour cause : depuis le 17 mars, la structure enregistre une baisse de 80 à 90% de son activité. «C’est très simple : celle liée aux cafés, hôtels, restaurants est réduite à zéro. Les ventes via notre réseau de cavistes sont, elles aussi, réduites à quasi-néant. En grande distribution, on perd quasiment 60% aussi.» La seule satisfaction réside dans le e-commerce boosté par le confinement. «On a multiplié par dix nos ventes via ce canal.»
L’inconnu de l’avenir préoccupe le responsable. «Aujourd’hui, nous n’avons aucune visibilité sur l’après crise. Au final, pour nous, je pense que ce sera une perte qui se chiffrera à plus d’un million d’euros.» Depuis trois années, la cave d’Irouléguy avait fait le choix de fermer certains de ses marchés pour pouvoir vieillir ses vins et capitaliser sur du stock. «Mais l’arrêt brutal nous conduit aujourd’hui à une situation inquiétante : les stocks s’empilent et se pose le problème de libérer des cuves pour les prochaines vendanges…»
Des craintes se portent également sur le volet humain. «On va essayer de maintenir du chômage partiel tant qu’on le peut pour une partie du personnel. J’espère ne pas en arriver à un plan social dans les prochains mois.»
Achat de vin local
Même situation en Vic-Bilh, à la cave de Crouseilles où, pour l’heure, on observe un bon développement végétatif des vignes. Avec la crise du Covid-19, le travail de mise en bouteille s’est poursuivi, mais à un rythme ralenti. Tout comme les ventes, d’ailleurs. «Seule la grande distribution a continué de vendre quelques bouteilles mais beaucoup moins que d’habitude», rapporte le directeur, Denis Degache.
Un acte jugé logique pour ce dernier. «À partir du moment où il n’y a plus d’animations, plus de vignerons qui animent des dégustations, il paraît difficile de sortir des bouteilles des linéaires». L’export continue d’être assuré tant bien que mal, «au fil des déconfinements de ces pays», vers la Grande Bretagne, le Pays-Bas ou encore la Belgique notamment.
Au Château de Crouseilles, comme tous les mercredis matin depuis la fin mars, Sandra, responsable des ventes, gère le drive. Et si les transactions restent assez timides, elles permettent tout de même d’écouler une partie du stock. «Ça marche plutôt bien, confie-t-elle. Les gens veulent se faire plaisir en achetant un peu de vins».
Avec le déconfinement, la jeune femme attend une affluence plus importante. «J’espère que les gens situés à 100 km à la ronde viendront acheter du vin local. On a vu l’essor et la réussite des drives depuis le début du confinement et donc, peut-être que cela va durer.»
Malgré cela, l’effet crise sera toujours bien présent avec des stocks plus importants que les exercices précédents. «Même si on le fait chaque année, il va falloir reloger certains vins avant les vendanges. Ce sera d’autant plus nécessaire en 2020.» La distillation de crise pourrait être la bienvenue. «C’est réellement une solution pour aujourd’hui liquider des volumes et repartir du bon pied.»
La saison estivale compromise
La cave des vignerons de Tursan traverse les mêmes turbulences. «On a cependant un maintien au niveau de la grande distribution, tempère, satisfait, Régis Laporte, directeur de la coopérative landaise. Des ventes se font aussi un peu en circuit court, mais beaucoup moins car il n’y a pas touristes, ni de curistes.» À ce jour, la cave de Geaune enregistre une baisse de vente de 40%.
Et bien qu’il y ait moins de saisonnalité qu’avant, et que le rosé se vend maintenant toute l’année, c’est tout de même à la saison estivale que la cave réalise le plus gros de son chiffre pour ce vin. «On espère une reprise rapide. On a une présence locale très forte, donc c’est vrai que s’il y a moins de touristes cet été sur la côte, ça se ressentira forcément sur le commerce et sur tout le tissu économique local.»
Quant aux volumes, pour l’instant, pas de quoi inquiéter les vignerons du Tursan. «À ce jour, on a la capacité de stockage et de vinification pour absorber la prochaine récolte mais il faut que les ventes redémarrent au plus vite quand même… C’est certain qu’à la fin de l’année, on aura un stock supplémentaire à écouler.»
Pour la cave de Gan (N.D.L.R. : malgré nos nombreuses sollicitations, la cave n’a pas donné suite à nos appels), la situation semble quasi-identique. Au micro de nos confrères de France Bleu Béarn, le directeur de la cave, François Ruhlmann, confiait que la vente en ligne et les commandes par correspondance se poursuivaient même «si le secteur des grossistes, hôtellerie, restauration a connu un coup d’arrêt assez terrible.»
B. Ducasse