Les jeunes vétos désertent le milieu rural
À l’image des généralistes, la médecine vétérinaire rurale rencontre des difficultés pour attirer les praticiens dans ses rangs. À l’origine de cette désaffection, des conditions d’exercice compliquées, couplées à un environnement difficile. Conséquence : la désertification vétérinaire menace le monde rural.
La difficulté d’exercer le métier de vétérinaire en milieu rural et de renouveler les générations dans des cabinets peu attractifs pour les jeunes diplômés est une problématique réelle. Connue depuis longtemps, elle inquiète d’ailleurs l’administration mais aussi la profession agricole : sans un maillage suffisant du territoire, les activités d’élevage sont menacées et la sécurité sanitaire animale et humaine n’est plus assurée.
Comme l’illustre dramatiquement la pandémie mondiale de Covid-19, la santé humaine dépend largement de la bonne gestion de l’exploitation ou de la cohabitation avec les animaux. Plus de 70% des maladies infectieuses humaines seraient dotées d’un réservoir animal.
L’efficacité du réseau vétérinaire a donc des implications qui vont bien au-delà du service rendu aux particuliers ou professionnels détenteurs d’animaux. Or, ce tissu s’est dégradé, en France mais aussi dans les autres pays européens.
Un nombre en chute libre
Un récent rapport du CGAAER (Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux) s’alarme de la situation actuelle : non seulement le nombre de vétérinaires ruraux est en chute libre mais les jeunes praticiens n’ont pas connu les grandes campagnes de prophylaxie. Pire, les liens avec les pouvoirs publics se seraient distendus. «Un certain nombre de vétérinaires libéraux rencontrés n’hésitent pas aujourd’hui à émettre de sérieux doutes sur la capacité future du dispositif d’épidémio-surveillance français à gérer d’éventuelles crises sanitaires majeures», note le rapport.
Les vétérinaires de plus de 55 ans représentent 27% des effectifs de la profession. Dans ces tranches d’âge proches de la fin de carrière, un peu plus d’un praticien sur cinq est un vétérinaire rural. La part des vétos déclarant soigner exclusivement ou à titre principal des animaux d’élevage a, quant à elle, baissé de trois points de 2016 à 2019 (de 23 à 20%).
L’analyse des résultats d’admission au concours d’entrée en école vétérinaire a montré une forte prévalence des candidats issus de zones urbaines et de formation générale. Pour rétablir l’équilibre, depuis quelques années, davantage de places sont offertes aux jeunes issus des voies professionnelles (BTS, BTSA…). Plus souvent originaires du monde rural, ces étudiants auraient davantage d’appétence pour l’exercice de leur profession à la campagne.
Une spirale infernale
Dans un cabinet vétérinaire, presque tout milite pour «la canine» (médecine des animaux de compagnie) au lieu de la «rurale» (médecine des animaux d’élevage). Soigner les animaux de compagnie est bien plus rentable et moins contraignant. «Activité déclinante, à la limite de la rentabilité, impayés qui s’accumulent, difficultés à trouver un remplaçant pour les gardes ou les vacances, environnement concurrentiel fort, fermeture des commerces et des services, tensions internes au cabinet liées à un déséquilibre entre canine et rurale dans la charge de travail et le dégagement de revenus, n’y sont le plus souvent pas pris en compte, souligne le rapport. Ce sont pourtant tous ces facteurs qui sont en train de dessiner, en territoires ruraux mais pas seulement (certains secteurs périurbains se trouvent déjà concernés), la carte des déserts vétérinaires de demain».
Dans certains territoires de montagne où les déplacements sont importants, les actes d’urgence sont même considérés comme déficitaires. Les représentants de la profession vétérinaire soulignent que la plus grande difficulté à gagner sa vie en «rurale» est parfois ignorée par les éleveurs. Ceux-ci envisagent d’ailleurs de plus en plus souvent l’intervention du vétérinaire comme une charge et non comme un investissement sur leur cheptel. De leur côté, les praticiens déplorent être devenus des urgentistes et non des professionnels sur lesquels s’appuyer pour le suivi des animaux, même si la mise en place des visites sanitaires d’élevage obligatoires montre la préoccupation des pouvoirs publics pour la prévention.
L’action du véto perçue comme une charge
«Dans un certain nombre d’endroits, les éleveurs en situation économique fragilisée ou précaire, cherchent à réduire la facture vétérinaire et limitent au maximum les appels. Sans réaliser qu’il s’agit le plus souvent d’un mauvais calcul, ils s’adaptent à la dégradation de la situation sanitaire de leurs troupeaux», déplorent les rapporteurs. Quant à la vente de médicaments, qui contribue pour 30 à 50% au revenu des vétérinaires, la recherche du moindre coût et l’approvisionnement par d’autres canaux menacent la survie des cabinets. Plus de la moitié d’entre eux fermeraient si le décret prescription délivrance était remis en cause.
Il apparaît que l’un des problèmes majeurs de la médecine vétérinaire rurale réside dans un défaut de communication entre agriculteurs et praticiens. Des initiatives mettent l’accent sur le travail partenarial entre les deux professions. C’est le cas des GVC (groupes vétérinaires conventionnés). Les GVC sont basés sur une cotisation annuelle payée par les éleveurs, réunis en association, calculée en fonction du nombre d’animaux.
Face à la carence vétérinaire déjà constatée sur certains territoires, les auteurs du rapport soulignent l’urgence de trouver des solutions adaptées à chaque situation et de tenir compte des aspirations des jeunes vétérinaires qui n’ont pas toujours les mêmes priorités que leurs prédécesseurs. La possibilité de s’installer dans un cabinet suffisamment important pour que plusieurs praticiens assurent les gardes de week-end et de jour férié, sur les animaux de rente comme sur ceux de compagnie, sera déterminante. Attentifs à la qualité de vie et à leur équilibre familial, ces jeunes vétérinaires privilégieront également les territoires où leur conjoint pourra trouver un emploi et où ils disposeront d’une offre de services et de culture suffisante. Le désert engendre du désert, les acteurs de la ruralité en sont déjà convaincus. La désertification vétérinaire constitue une menace à ne pas sous-estimer.
Indago presse