L’urbanisation facteur de gaspillage alimentaire
Une étude, pilotée par l’Inra et consacrée aux pertes et gaspillages alimentaires en milieu urbain, a mis en évidence les limites des systèmes agricoles et alimentaires actuels. Si des leviers, précisés par l’enquête, existent, les professionnels mettent en avant la nécessité d’une refonte des systèmes (production, transformation, distribution et consommation).
Le focus donné à la ville, dans cette étude pilotée par l’Institut national de recherche agronomique (INRA) sur les pertes et gaspillages alimentaires, n’est pas anodin. L’urbanisation est une tendance mondiale, avec près des deux tiers de la population qui y résideront en 2050, annonce l’Organisation des Nations Unies (ONU).
Et au-delà des neuf leviers visant à réduire les pertes (lire zoom ci-dessous), identifiés par un groupe d’experts scientifiques et communiqués par l’INRA à l’occasion d’une conférence de presse le mercredi 8 juin, c’est bien le type de relations, cultivées entre la ville et la campagne, qui est posé.
«Aux États-Unis, la part des dépenses alimentaires d’un ménage comparées à ses dépenses totales ne représente que 8%. Au Canada, cette part est à 10% et à 14% en France», explique Guy Debailleul, économiste spécialiste des questions agricoles à l’université de Laval au Canada. En Amérique du Nord, développe-t-il ainsi, l’optimisation d’un système alimentaire s’apprécie en fonction de son coût. Plus il est faible, plus il est efficace.
Relation ville/campagne
«Consacrer 8 à 10% du budget à l’alimentation veut dire, derrière, que pas tous les producteurs pourront vivre de leur travail», réagit Antoinette Guhl, adjointe à la mairie de Paris. Car, ne plus être en capacité de percevoir la véritable valeur des choses contribue inexorablement au gaspillage. «Cette dissociation entre la nature et l’alimentation et de celle entre les villes et les campagnes génèrent un gaspillage alimentaire extrêmement important», poursuit-elle.
Par ailleurs, certaines politiques publiques ayant des finalités légitimes peuvent s’entrechoquer et donner lieu à des incohérences préjudiciables dans la lutte contre le gaspillage. «Des tensions existent, entre d’un côté les exigences de sécurité sanitaire et de l’autre la prévention. Aussi, une politique de valorisation du recyclage des biodéchets peut diminuer l’impact des politiques publiques donnant la priorité à la prévention contre le gaspillage alimentaire», illustre Stéphane Guilbert, professeur à SupAgro de Montpellier. «Il faut repenser les systèmes agricoles et alimentaires de demain», conclut Christine Cherbut, directrice scientifique du pôle alimentaire et bio économie à l’INRA.
Choix de société
Responsables de près de 53% des pertes et gaspillages alimentaires, les ménages représentent la cible privilégiée des municipalités. À Paris, 80% des déchets partent en incinération, 15% sont recyclés et 5% sont enfouis. «50% des déchets qui sont incinérés correspondent à des matériaux de filières de recyclage», informe Antoinette Guhl qui déplore «c’est du gaspillage dû à une mauvaise qualité du tri». Près de 20% de produits supplémentaires voués à l’incinération sont des biodéchets, qui pourraient servir à une tout autre valorisation.
«On est dans un vrai choix de société, d’orientation de nos politiques», renchérit Guillaume Garot, député de la Mayenne et auteur du rapport parlementaire sur le gaspillage alimentaire. Selon lui, la «mobilisation locale» est indispensable à la bonne mise en œuvre des politiques nationales. «Chaque année, c’est 16 milliards d’euros en pure perte, près de 26 kg jetés à la poubelle par personne», rappelle-t-il.
Neuf leviers pour limiter le gaspillage
Les chercheurs de l’Inra ont identifié neuf leviers pour réduire le gaspillage alimentaire en ville. Il s’agit de l’assouplissement des cahiers des charges de la grande distribution pour «ouvrir le marché aux produits ayant des défauts d’aspects». |