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Protéger l'origine des produits, un enjeu planétaire

Le 12 mai à Bordeaux, les Assises de l’origine ont réaffirmé l’importance des signes officiels pour la défense et la valorisation des produits locaux. Le renforcement de la protection juridique est crucial, notamment pour l

file-Juriste et experte en indications géographiques, Monique Bagal a rappelé que « les États ont véritablement commencé à légiférer contre la fraude à partir de 1883 ». Mais depuis, rien n’est définitivement réglé…
Juriste et experte en indications géographiques, Monique Bagal a rappelé que « les États ont véritablement commencé à légiférer contre la fraude à partir de 1883 ». Mais depuis, rien n’est définitivement réglé…

Qu’elles soient issues d’un processus ascendant partant de la volonté d’un groupe d’agriculteurs ou qu’elles s’inscrivent dans une démarche descendante, fruit d’une volonté politique ou d’une stratégie commerciale forgée par un distributeur, les indications géographiques (IG) sont toutes confrontées à la question de leur protection internationale contre les usurpations.

Et cet enjeu n’est pas un phénomène récent. Le Roquefort, né longtemps avant l’Ancien régime, était déjà protégé dès le XVIIe siècle. Certes, il s’agissait d’une protection restreinte car limitée à la France. Aucun problème tant que la concurrence n’avait pas pointé son nez. Le développement des transports a rapidement changé la donne. «Les États ont véritablement commencé à légiférer contre la fraude à partir de 1883», a précisé Monique Bagal, juriste et experte en indications géographiques, le 12 mai à Bordeaux lors la 17e édition des Assises de l’Origine. Des assises organisées dans le cadre du salon de l’Agriculture par la chambre régionale d’Agriculture et Coop de France Aquitaine, avec le soutien de l’INAO et du conseil régional.

En 1958, cette protection prend une nouvelle dimension avec la signature de l’arrangement de Lisbonne portant sur la définition, la protection internationale et sur l’enregistrement des appellations d’origine. Cet accord concerne 28 pays mais en 1994, les indications géographiques deviennent un véritable enjeu planétaire avec l’adoption des ADPIC (accords des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce) signés par 161 États dans le cadre de l’OMC (organisation mondiale du commerce).

Une protection dès le XVIIe siècle

Mais pour les produits hors vins et spiritueux, ces accords ne règlent pas le problème de la preuve d’usurpation. Celle-ci reste très souvent un exercice difficile pour les producteurs concernés. Le rooibos de Tanzanie, par exemple, est toléré selon ces accords en tant que mention «délocalisante» alors qu’il est une IG sud-africaine issue d’un arbuste endémique de l’Afrique du sud. Dont acte!

L’extension de la protection est une question qui divise les États en deux groupes. Aujourd’hui, il y a d’un côté 110 pays, dont ceux de l’UE, des pays d’Afrique, de la Caraïbe et du Pacifique, la Thaïlande, le Brésil, la Chine, la Colombie ou encore la Suisse qui soutiennent la position dite «majoritaire» pour défendre, entre autres, l’idée d’une extension et d’un renforcement de la protection des IG pour les produits moins protégés que les vins et les spiritueux. Face à eux, 40 pays soutiennent la proposition dite «conjointe», laquelle s’oppose à l’idée d’une protection additionnelle. Parmi eux, les États-Unis, le Canada, le Chili ou encore l’Australie.

D’un côté, il est question de vulnérabilité face à la concurrence. De l’autre, seul l’intérêt distinctif porté par ces produits vis-à-vis du consommateur est pris en compte. Outil de politique publique dans le premier cas, l’identification géographique se résume à un atout marketing dans le second.

Bataille réglementaire transatlantique

La règle de l’OMC réclamant le consensus pour toute décision, la situation sur ce sujet est donc bloquée. Les divergences techniques et juridiques d’hier sont devenues politiques et conduisent en 2005 à un conflit à l’OMC entre les États-Unis principalement et l’UE. Cette dernière fléchit sur son règlement. Ainsi, sans rejeter le système interventionniste que les États-Unis jugent discriminatoire vis-à-vis des pays étrangers, l’OMC tranche donc en expliquant que «ce système n’est pas une référence».

Pour contourner cette protection internationale qu’elle juge insuffisante pour leurs IG, l’UE et ses alliés choisissent alors d’autres voies de négociations par le biais d’accords régionaux et bilatéraux, ou encore via certains programmes d’assistance technique comme au Maroc, en Tunisie ou au Cambodge. Objectif: rallier un maximum de pays à la cause de la position «majoritaire». Une stratégie qui porte ses fruits: aux États-Unis, par exemple, le Missouri, aurait franchi le pas et serait en train d’adopter une législation de type européenne.

«La clause du grand-père»

Mais les embûches restent nombreuses et la donne est parfois tronquée dans certains accords bilatéraux avec la «clause dite du grand-père» que les producteurs peuvent utiliser «à bon droit» en vertu du fait que leurs ancêtres, migrants d’origine européenne pour la plupart, ont amené depuis leur pays d’origine des traditions culinaires associées à des noms précis. Les deux écoles de pensée se font toujours face. Quand l’une prône la sauvegarde d’un patrimoine culturel, l’autre, ultra pragmatique, considère que les efforts de différenciation exigent un retour sur investissement.

«Cette opposition est tout de même un peu artificielle, analyse Monique Bagal, car personne ne crée des IG seulement dans un but émotionnel pour protéger sa culture. Et, à l’inverse, personne ne crée des IG avec le marketing pour unique base idéologique». Preuves de l’intérêt suscité par les IG, leur nombre se multiplie et des «IG septiques», comme Le Québec, rejoignent le camp des «IG convaincus». En outre, les accords bilatéraux se développent et l’idée de moderniser l’arrangement de Lisbonne, pour le rendre plus attractif et créer un registre international des IG, est engagée.

Marie-Noëlle Charles

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