Au salon, les politiques défilent et les agriculteurs traînent leur détresse
À deux mois du premier tour de l’élection présidentielle, le Salon international de l’agriculture demeure un passage obligé pour les candidats et élus. Et pourtant, une enquête Cevipof/Le Monde révèle que 52% des agriculteurs veulent s’abstenir au premier tour. Traduction d’un profond désarroi du monde paysan français et de sa défiance vis-à-vis des politiques.
Parfois, on se demande si ce sont les animaux, les produits et les agriculteurs qui sont les stars du Salon international de l’agriculture… Et encore plus, en année d’élection présidentielle. Depuis son inauguration par François Hollande, le 25 février dernier, pas un jour sans qu’un politique arpente, avec une cohorte de journalistes, les allées du SIA.
Grands et petits candidats — à l’exception de Jean-Luc Mélenchon (Front de gauche) qui a préféré se rendre dans une exploitation agricole de l’Oise —, membres du gouvernement, députés, sénateurs, président de conseil régional ou simples élus, tous ont participé à la rituelle visite de la plus grande ferme de France.
Le temps de quelques heures, d’une journée, d’une semaine, l’agriculture et les agriculteurs ont toute l’attention de la classe politique. Il était temps… Que ce soit lors des primaires de la droite et du centre, ou lors de celles de la gauche, la cause agricole était totalement absente des débats.
Profond désarroi
Pourtant, jamais le monde paysan n’a été aussi malade. Les crises se succèdent, les revenus sont en berne et, chaque jour, des exploitations mettent la clé sous porte. Ainsi, en 2015, la FNSEA estimait que 20.000 à 25.000 éleveurs étaient au bord du dépôt de bilan. Un chiffre qui ne cesse de grossir.
Devant l’ampleur de ce marasme, les candidats à l’élection présidentielle ont donc le devoir de sortir des postures pour proposer une vision à long terme à une profession qui a de plus en plus de mal à croire en eux. En effet, selon une enquête du Cevipof pour Le Monde, publiée le 28 février, plus de la moitié (52%) des agriculteurs interrogés «indique leur intention de s’abstenir» au premier tour de l’élection présidentielle. Un bouleversement, s’il se confirme, car les agriculteurs sont généralement peu abstentionnistes aux présidentielles : 3% en 2012, selon l’Insee.
Des visites et des propositions
Les candidats ont donc tenté de convaincre, égrainant au fil des rencontres les lignes de leur programme pour l’agriculture. Et c’est Marine Le Pen qui a ouvert le bal mardi. Elle a notamment appelé à «franciser les aides» aux agriculteurs, fustigeant l’«échec absolu» de la PAC. La candidate d’extrême droite prône un système centré sur les aides strictement nationales. «Il faut faire l’inverse de ce que fait l’UE. Il ne faut pas financer par des aides à l’hectare, mais il faut financer les bonshommes». La patronne du FN a enfin appelé à ce que «l’argent des Français» et «des collectivités serve à acheter des produits agricoles français», et à mettre un terme à «la concurrence déloyale, et (aux) accords de libre-échange».
Le lendemain, Emmanuel Macron a pu dévoiler son programme agricole en six objectifs et vingt propositions. La proposition principale est «un plan de transformation agricole de 5 milliards d’euros sur 5 ans» pour «des projets de modernisation des exploitations ayant un impact positif sur l’environnement et le bien-être animal» et de «transformation privilégiant les circuits courts». Autre mesure phare, le renforcement des organisations de producteurs, par une «dérogation au droit de la concurrence pour le secteur agricole».
Sur le foncier, le candidat de En Marche souhaite «faciliter le portage», renforcer la transparence des formes sociétaires. Sur l’installation, il propose un prêt d’honneur de 50.000 euros en plus de la DJA. Il propose par ailleurs de faciliter «la formation professionnelle tout au long de la vie», relancer la méthanisation et de soutenir l’innovation et la recherche.
Rebondissements et affaires
Le même jour, François Fillon devait arriver à 8h00 au salon. Il a dû annuler à la dernière minute son déplacement, rattrapé par l’affaire du Pénélopegate. Finalement, le candidat Les Républicains est arrivé porte de Versailles en début d’après-midi. Protégé de la meute de journalistes par un solide cordon de sécurité, l’ancien Premier ministre de Nicolas Sarkozy a rencontré les professionnels à l’abri des regards.
Il a rappelé qu’il souhaitait simplifier le droit des entreprises agricoles, supprimer le principe de précaution de la Constitution et abroger toutes les normes ajoutées aux textes européens. Il compte aussi réduire, de 40 milliards d’euros, les charges et impôts pesant sur toutes les entreprises, donc les entreprises agricoles, et relancer les recherches qui ont été interrompues au nom du principe de précaution, «notamment en génétique».
Difficulté à convaincre
Enfin, hier, jeudi 2 mars, Benoît Hamon a lui aussi fait son petit tour, sans vraiment déchaîner les passions. Il faut dire que le candidat socialiste peine à séduire les agriculteurs. Dans son programme, il fait de l’alimentation un enjeu majeur, un axe fort. Il annonce un plan en dix mesures en ce sens. Parmi ces mesures, il souhaite interdire les perturbateurs endocriniens, les nanoparticules et les pesticides dangereux. Concernant les pesticides, Benoît Hamon propose également de les faire homologuer par le ministère de la santé. Il s’engage enfin pour le respect de la condition animale avec la mise en place d’un comité national d’éthique des abattoirs.
Au final, une seule question demeure : les politiques auront-ils su convaincre les agriculteurs de se rendre aux urnes? Réponse le 23 avril prochain, date du premier tour de la présidentielle.
Yannick Allongue