La filière laitière du Sud-Ouest «à la croisée des chemins»
Lorsque le Criel (interprofession laitière) de Nouvelle-Aquitaine se tourne vers l’horizon 2030, il ne sait pas s’il doit regarder à droite ou à gauche. À droite, il y a la stratégie agro-environnementale entamée depuis plusieurs années sous la pression des consommateurs. À gauche, il y a l’option de la souveraineté alimentaire, érigée en nécessité ces derniers temps. Impossible de suivre ces deux stratégies, alors que la production laitière française est en diminution constante.
En Nouvelle-Aquitaine, la baisse de la collecte a été de 25% entre 2015 et 2021 (5% en France). «Le maintien de la production à un niveau significatif devient difficile, alerte Benoît Rouyer, le directeur du pôle économie et territoire du Cniel, lors d’un point sur les perspectives de la filière laitière à 2030. Certaines régions pourraient basculer sous le seuil critique de production». Ainsi, la Nouvelle-Aquitaine transforme à présent plus de lait que son territoire n’en produit.
De plus, pour maintenir la production actuelle, soumise à la déprise, une étude de l’Idele a montré qu’en France, il faudrait que chaque coexploitant reprenne 16 vaches d’ici 2030 pour stabiliser le cheptel laitier. Le chiffre monte même à 22 en Nouvelle-Aquitaine. «On voit bien qu’on arrive à quelque chose qui est impossible à réaliser», pose le responsable national. Un avis partagé par Christophe Limoges, le président du Criel. «Dans ce cas, il faudrait aller vers un élevage intensif rejeté par les consommateurs et réaliser un saut de productivité jamais vu, sans compter qu’il faut avoir le foncier et les bâtiments en face.»
Investir
Cette situation posée, les administrateurs du Cniel ont conscience de la nécessité d’agir dès maintenant. Le moment semble propice pour Frank Michel, économiste à la chambre régionale d’agriculture. «Les planètes sont alignées : les taux d’intérêt sont tels que c’est comme si les investisseurs plaçaient de l’argent à 4%, les plans de relance sont là. Nous sommes dans la même situation favorable que dans les années 1970.» En parallèle, le retard des coops laitières en termes de structuration par rapport aux coops d’Europe du Nord se comble progressivement, du fait des nombreuses fusions.
À l’export également, il y a des opportunités. «De 1991 à 2009, les 1.000 litres de lait français coûtaient 150€ de plus que ceux de Nouvelle-Zélande. Ces dernières années, l’écart était plutôt de 30 à 40€, ce qui n’est pas insurmontable», présente Benoît Rouyer. Toutefois, si la croissance à l’export vers les pays tiers est régulière, la situation est plus complexe au sein de l’Union européenne, où les importations de produits laitiers augmentent (+91% en fromages de 2010 à 2020 par exemple) et où on observe un solde négatif structurel pour le beurre.
Cinq grands axes de travail
C’est la raison pour laquelle le conseil d’administration du Cniel a lancé la préparation de l’horizon 2030 dans son prochain projet triennal (2023-2025). Des ateliers prospectifs ont commencé l’année dernière en région et doivent apporter des éléments de réponses à de nombreuses interrogations : va-t-on partir sur des produits premium ou sur des entrées de gamme, qui peuvent s’écouler plus facilement vers l’Afrique ou l’Asie ? Quel va être le standard du lait, alors que la mode du sans (sans OGM notamment) semble devenir la norme ? Quelle va être la part des produits végétaux (lait d’amande, de soja…) ?
Les questions sont nombreuses et s’articulent autour de cinq grands axes : responsabilité et résilience, attractivité, compétitivité et valorisation, alimentaire et enfin diversité et ouverture. De vastes sujets qu’il faudra prioriser «car on ne pourra pas travailler en profondeur sur tous», insiste Benoît Rouyer. En tout cas, alors que la pyramide des âges donne un sentiment d’urgence, tous les professionnels s’accordent à le dire : «Nous sommes à la croisée des chemins.»
Carole Lumineau