L’agriculture régionale est-elle en crise ou a-t-elle entamé une profonde mutation ?
Cette question était le fil conducteur de la dernière session de la chambre d’agriculture de Nouvelle-Aquitaine qui s’est tenue le 23 novembre à Bordeaux. «Une crise est habituellement conjoncturelle. Mais si le phénomène dure 2 voire 3 ans, on peut dire que l’on est dans une mutation», a commenté Jean-Marc Renaudeau.
À la lumière du panorama de la conjoncture des différentes filières dressé à partir de travaux réalisés en collaboration entre le service économique de la Draaf Nouvelle-Aquitaine et le pôle économique de la chambre régionale d’agriculture que le président de la commission économie et prospective a tiré cette conclusion : «à ce stade, il s’agit de voir comment nos exploitations peuvent vivre ces mutations, poursuit-il. Il faut explorer des pistes d’avenir pour retrouver de la valeur ajoutée à la production, construire des liens durables tout au long de la filière. On devra aussi adapter nos systèmes pour répondre aux besoins alimentaires et sociétaux».
Les responsables de la chambre régionale ont, notamment, présenté la situation de la filière lait de vache. Elle est toujours très préoccupante mais il ressort, malgré tout, quelques éléments positifs. La baisse de livraison (- 9% sur les 8 premiers mois de l’année), tout en se poursuivant, à tendance à se ralentir. Autre constat, celui d’une «une petite embellie» sur les prix, même si ceux-ci restent faibles. Ainsi depuis juillet, les cours ont tendance à remonter en passant, de juillet à septembre, de 317 €/1.000 litres à 352 €/1.000 litres. La conjoncture serait donc un peu plus porteuse.
La baisse des revenus se généralise
L’analyse fait aussi ressortir qu’en 2016, sur cette filière, les revenus se sont effondrés par rapport à leur moyenne quinquennale. Le ciseau des prix était défavorable et cela représentait une deuxième, voire une troisième, mauvaise année consécutive. Pour 2017 avec la remontée des prix et un report plus favorable du ciseau, on peut s’attendre à une remontée du revenu mais on restera en deçà, et même assez largement, de la moyenne des dix dernières années.
Au niveau régional, toutes filières confondues, on constate que si certaines connaissent des difficultés, d’autres sont en situation un peu plus favorable, notamment la volaille de chair. Les disparités de revenus entre les filières s’accentuent, mais il existe aussi des écarts importants au sein d’une même filière. En outre, la baisse des revenus agricoles est généralisée sur la région et la part des exploitations agricoles à très bas revenus a doublé avec la crise.
Même si une projection permet d’envisager une hausse des revenus pour 2017, leur niveau reste de toute façon inférieur à celui du début des années 2000. L’accumulation des crises aboutit ainsi à des trésoreries nettes négatives sur les exploitations. En filière lait de vache, par exemple, cela concerne plus du tiers des producteurs. Et même si cette situation est plus manifeste dans le nord de la région, elle interroge sur les possibilités d’investissements pour s’adapter.
Les perspectives de marché à l’exportation ont aussi été analysées. II en ressort que malgré le solde global positif sur le secteur agricole, certaines filières sont déficitaires (fruits et légumes, ou encore viandes hors animaux vivants). Le commerce international est soumis à des aléas liés à la volatilité sur les marchés financiers et aux variations des taux de change. La grande question reste celle de la concurrence sur des marchés ouverts qui se libéralisent et qui mettent à mal la rentabilité des filières qui doivent renforcer leur compétitivité. Cette instabilité conduit à envisager des voies d’optimisation des systèmes de production.
Des cartes à jouer
Quid alors du marché national ? La consommation française progresse sous l’effet de l’évolution démographique. La Nouvelle-Aquitaine a une carte à jouer au regard des prévisions d’augmentation de sa population. Elle devrait en effet compter 6,3 millions d’habitants en 2025, soit 400.000 habitants de plus qu’actuellement. On assiste aussi à une «montée en gamme», avec un resserrement de la moyenne gamme et un élargissement des «marchés standards». Cela dit, même si on sait que 80% des consommateurs font d’abord attention au prix, il reste de la place pour développer d’autres stratégies notamment en explorant les productions de qualité. Là encore, la région, forte de 144 signes officiels de qualité, peut tirer son épingle du jeu.
Autres voies d’exploration, celle des circuits courts. Elles se développent et commencent à toucher les aires urbaines. De nouvelles formes de distribution voient aussi le jour avec des surfaces commerciales de moins de 1.000 m2 qui ouvrent sur le frais «haut de gamme». Reste que cette différenciation vers plus de qualité n’enlève pas la question de savoir comment la valeur ajoutée revient au secteur agricole.
M.-N. Charles