Lait : une demande de baisse de production difficile à digérer pour les éleveurs du Sud-Ouest
À l’approche du pic de production, la baisse de consommation, les exports en berne et la fermeture de certains canaux conduisent l’interprofession à encourager une baisse des volumes laitiers. Une incohérence pour les éleveurs du bassin de l’Adour.
Faut-il freiner la production des élevages laitiers du Sud-Ouest ? Voilà une question qui taraude les acteurs de la filière dans cette période où les marchés sont fortement perturbés par la pandémie du coronavirus et que le pic de production printanier approche. Le ministre de l’Agriculture a déjà sollicité l’UE pour bénéficier d’un coup de pouce pour pouvoir «stocker» le lait produit en excédent. De son côté, l’interprofession (Cniel) — qui encourage une diminution des volumes — a mis sur la table 10 millions d’euros pour créer un fonds d’indemnisation afin d’amortir financièrement cette baisse.
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Pour Thierry Lanuque, président régional de Sodiaal, stocker la production est un levier pour éviter un effondrement des cotations. «Cette semaine, le cours de la poudre est arrivé à 1.700 euros tonne, celui de l’intervention, et il continue de baisser. Je préférerais qu’on maîtrise la production plutôt que les stocks viennent impacter les prix. On a réussi à aller chercher des hausses en GMS pour avoir une valeur du lait correctement payé. Ça serait bête de perdre ces acquis.»
Usines et collectes fonctionnent
«Malgré des baisses d’effectifs, les usines et les collectes fonctionnent depuis le début du confinement», se félicite Thierry Lanuque. La situation est tout autre pour le réseau RHF (restauration hors foyer) de la coopérative, qui enregistre une importante baisse d’activité. Ainsi, ses trois sites Boncolac ont été fermés. Du côté des fromages AOP, «l’export connaît aussi une mauvaise passe avec des envois vers la Chine toujours suspendus.»
L’activité des GMS où la coopérative parvient à écouler sa production constitue une mince satisfaction. «On a réalisé un bon mois, mais est-ce parce que les gens ont fait des stocks, ça, je ne sais pas. Le bio a aussi connu des ventes croissantes.» Toutefois, cela ne compense pas la chute des ventes enregistrée sur les autres canaux de distribution.
Dans ce contexte, le responsable de Sodiaal redoute le pic de production. «On le surveille de près, on l’attend pour la semaine prochaine. On a relayé la lettre adressée par le Cniel qui demandait aux éleveurs de réduire les volumes compte tenu des marchés qui n’étaient pas là et de la dégradation des cours de façon importante.» À Sodiaal, une saisonnalité de 20 euros pour avril et mai a été mise en place «avec des reversements les mois d’été.»
Incrédulité des producteurs
Pour Gilles Barthe-Lapeyrigne, éleveur à Garos, dans les Pyrénées-Atlantiques, réduire la production de lait n’est pas d’actualité. Référent de l’OP Sol pour Danone, il refuse, pour l’instant, toute baisse tant qu’il n’y a pas d’initiative nationale. «Autant je conçois qu’il y ait une moindre consommation de fromages, mais pour le lait j’ai dû mal à le croire», souligne-t-il, affirmant que les usines de Danone tournent, actuellement, à plus 15% et donc manquent quasiment de lait.
Selon lui, une baisse sur avril, mai et juin, «les mois les plus propices», entraînerait des difficultés pour relancer la production les mois suivants, «quand toutes les laiteries sont en manque de lait.» Et d’ajouter : «J’ai bien peur que si on demande aux éleveurs de baisser leur production, cette fois-ci, on ne s’en remette pas. Ils ne vont pas accélérer après cette période. Et des génisses, il ne s’en fera pas plus car elles ont toujours été en manque ici…» Et pour lui, une certitude demeure. «Ce n’est pas le Sud-Ouest qui, en baissant son volume, va désengorger le marché.»
Une analyse partagée par Nicolas Bernatas, éleveur à Andoins et référent de l’OP Sud Gascogne qui livre à Savencia. «Cette situation, c’est un peu la double peine pour nous, éleveurs. On n’est pas responsable de la surproduction de lait mais malgré tout, on subit ce surplus de volume et on nous aligne le prix par rapport à cette situation.» Si pour l’instant, une diminution n’est pas évoquée dans sa laiterie, elle serait, selon lui, très difficile à encaisser pour l’élevage laitier du Sud-Ouest.
Double peine pour les éleveurs du Sud-Ouest
«Localement, nous sommes dans une baisse de production structurelle, avec, chaque année, entre 5 et 10% d’éleveurs et de volume en moins. Par rapport à la demande du Cniel, on ne s’y retrouve pas forcément car ce n’est pas évident de jouer sur une capacité de production.» D’autant plus dans les exploitations locales. «On n’est pas en zone herbagère où l’on peut équilibrer de l’herbe avec des correcteurs.»
Éleveur au Pays basque et élu à la chambre d’agriculture des Pyrénées-Atlantiques, Iban Pebet relève une incohérence. «Je pense que le public visé par rapport à ça, c’est d’abord les Normands et les Bretons qui font le plus gros pic de lait avec la pousse de l’herbe. Chez nous, même si on a un pic, on a une production beaucoup plus constante sur l’année. Localement, on a des entreprises aujourd’hui qui fonctionnent et on nous demande à nous de faire l’effort…»
Dans les Landes, à Saint-Martin-de-Seignanx, chez Martine Hiriart, pas question, pour le moment, de supprimer la traite du dimanche soir, voire de passer en monotraite ou d’avancer le tarissement. Éleveuse pour Danone, la présidente de la commission herbivore à la chambre d’agriculture landaise s’en tient aux informations de sa coopérative.
Et pour l’instant, aucune baisse de volume ne lui a été formulée. Alors pour elle, pas question encore de réduire les concentrés. «Pour le moment, on n’a touché à rien. Il y a vingt jours jusqu’au début du déconfinement. J’espère que tout rentrera en ordre après.» Un espoir, partagé résolument par toute une filière.
Responsable de la section lait à la FDSEA 64, Michel Casabonne, producteur à Buzy, livre normalement à Sodiaal. «Dans cette situation, le Sud-Ouest n’est pas dans la première zone à devoir baisser sa collecte sachant que nous avons un contexte bien différent des autres bassins, avec des difficultés structurelles linéaires depuis une dizaine d’années. Si vraiment la situation se corsait, si vraiment il y avait un appel de nos laiteries respectives à baisser les volumes, alors on pourrait réétudier la question. Mais pour l’instant, on le repousse.»
B. Ducasse