Quand le vote agricole fait sa révolution
Traditionnellement mobilisée et fidèle à la droite républicaine, la population agricole pourrait s’affranchir de ses habitudes électorales et s’émanciper des partis historiques lors des prochains scrutins, notamment pour l’élection présidentielle. Mais une abstention record pourrait constituer le principal marqueur de l’électorat agricole de 2017.
Alors que leurs parents étaient traditionnellement fidèles à la droite républicaine, les agriculteurs “génération 2017” semblent s’être affranchis de ce lien historique. Chez les agriculteurs actifs, François Fillon, avec 13,5% de voix, n’apparaîtrait qu’en quatrième position à l’issue du premier tour de l’élection présidentielle selon les dernières estimations du Cevipof (Centre de recherche politique de Sciences Po) publiées en mars 2017. Marine Le Pen arriverait en tête avec 29% des votes, suivie d’Emmanuel Macron (23,2%) et de Benoît Hamon (19,4%) qui obtiendrait même 6% de plus que François Fillon !
Les retraités encore marqués par un lien historique
Chez les agriculteurs retraités, les racines du passé persistent : le candidat Les Républicains arrive en tête des intentions de vote (47,9%), suivi d’Emmanuel Macron (25,3%) et Marine Le Pen (11,4%). Ces retraités restent, semble-t-il, marqués par les relations privilégiées entre le monde agricole et la droite républicaine qu’avaient tissées le Général de Gaulle et son ministre Edgar Faure dans les années soixante puis Jacques Chirac.
Ce lien étroit perdurera pendant plusieurs décennies. En 2012 encore, les agriculteurs sont restés fidèles à la droite de l’UMP : 44% d’entre eux avaient voté pour Nicolas Sarkozy au premier tour de l’élection présidentielle, 68% au second tour, selon une étude de l’IFOP diffusée en février 2014.
«Les jeunes n’ont pas le même rapport à l’histoire que leurs aînés, explique Joël Gombin. Ils ont des trajectoires différentes, ont fait davantage d’études […]. Ils sont moins liés aux structures agricoles et moins soumis au poids de la socialisation politique». Le syndicat majoritaire, lui-même, s’est aperçu qu’il «garde la même influence quel que soit le pouvoir politique en place».
Qui sème le désintérêt, récolte l'abstention
Dans ce contexte, la jeunesse agricole se sent plus libre de choisir son candidat. Si les agriculteurs se détachent du parti politique auquel ils étaient fidèles, l’intérêt des politiques à l’égard de l’électorat paysan a diminué en même temps que la population agricole. Car celle-ci représente désormais moins de 2% des suffrages potentiels pour les candidats.
Chez les actifs agricoles, c’est donc la candidate du Front National qui draine la plus grande part des intentions de vote (29%). Et pourtant, jusqu’en 2002, date à laquelle «le FN parvient à concurrencer la droite classique», selon l’étude de l’IFOP, «les agriculteurs étaient, avec les catholiques pratiquants, les deux groupes sociaux les plus réfractaires au vote d’extrême droite». Il faut noter cependant que l’attrait du vote FN n’est pas exclusif à la population agricole. Les ouvriers (42%), les employés (34,4%) et les professions indépendantes (30,1%) placent eux aussi Marine Le Pen en tête de leurs intentions de vote pour 2017.
Le risque d’une abstention record
Finalement, chez les agriculteurs, la grande gagnante de l’élection présidentielle pourrait bien être l’abstention. La population agricole est, parmi toutes les catégories socioprofessionnelles, celle qui présente le plus fort taux potentiel d’abstention (49,6% chez les actifs, 43,7% chez les retraités), devant les ouvriers (actifs : 40,4%, retraités : 34,4%) et les employés (38,4% et 28,5%). Des chiffres qui semblent indiquer un bouleversement dans les habitudes électorales traditionnelles des agriculteurs.
«Les électeurs ruraux votent en général plus que les citadins, les agriculteurs en particulier», selon Joël Gombin. En milieu rural, les gens se connaissent davantage. Cela crée une sorte de «contrôle social» qui incite à remplir son devoir citoyen. À la lumière de cette analyse, savoir que près d’un agriculteur sur deux envisage de ne pas se déplacer vers les urnes cette fin de mois donne un indice de l’ampleur du ras-le-bol — ou pire, de la résignation — des exploitants agricoles.