Un plan B pour assurer les stocks de fourrages
Les conditions climatiques de ces dernières semaines obligent les éleveurs à modifier leurs choix initiaux. Il faut désormais se tourner vers des cultures susceptibles d’apporter un affouragement pour cet été. Zoom sur quelques solutions de cultures qu’il est/sera possible de semer avant le début de l’été.
Les très fortes précipitations de la semaine dernière, cumulées à l’importante pluviométrie précédemment enregistrée, imposent un besoin de ressuiement des sols encore plus important avant toute entrée dans les champs. Cette situation oblige certains éleveurs à revoir leurs prévisions de cultures, faute de ne pouvoir terminer les semis de maïs ou/et par besoin de reconstituer des stocks fourragers…
Les graminées estivales
Plus tardives au semis qu’une culture de printemps classique, de cycle de végétation particulièrement court, ces espèces annuelles sont une option intéressante pour un semis dès que les conditions le permettront, idéalement avant mi-juillet.
Normalement, ces différentes espèces permettent une utilisation estivale. Elles demandent, pour ce faire, à être semées avant les grosses chaleurs afin d’assurer le démarrage en végétation, la levée exigeant un minimum d’humidité. Ce ne devrait pas être un problème cette année, mais habituellement, plus les semis sont tardifs, plus on prend de risques sur la levée et le rendement.
Les sorghos fourragers
Les sorghos sont des plantes de chaleur, qui s’adaptent bien au sec grâce à leur système racinaire puissant. Ils permettent de fournir rapidement un fourrage abondant (7 à 10 tMS/ha) et appétent, tant pour les vaches que pour les brebis, utilisable en affouragement en vert ou en pâture (sorghos fourragers multicoupes : hybride ou Sudan Grass), ou en ensilage (sorghos monocoupes de types grain ou sucrier).
La première exploitation d’un sorgho fourrager est possible 6 à 8 semaines après le semis. Elle est cependant délicate à gérer, la croissance extrêmement rapide des pieds (6 à 10 cm par jour possibles en juillet !) autorisant au maximum une fenêtre d’utilisation de 15 jours.
De plus, les jeunes sorghos sont riches en un composé toxique, l’acide cyanhydrique (1) ; dans les plantes plus âgées, sa teneur, diluée, devient inoffensive pour les animaux.
Selon le type de sorgho fourrager, il est ainsi prudent, pour une utilisation par la pâture, d’attendre 40 cm de hauteur de végétation (pour les Sudan Grass), voire 60 cm (pour les variétés hybrides). Moins productifs que les variétés hybrides, les Sudan Grass sont les plus adaptés à la pâture. Ils sont aussi plus précoces et moins riches en acide cyanhydrique, avec des cycles de repousse plus courts.
Les repousses tallent (broyage de nivellement recommandé à la sortie des animaux) et sont plus souples d’utilisation, toutes les 3 à 5 semaines selon les conditions.
Dans tous les cas, l’épiaison est à éviter. En cas de débordement par la pousse (qui peut être limité en fractionnant les semis), il est recommandé de faucher, le surplus pouvant être ensuite distribué en vert ou enrubanné ; quel que soit le type de sorgho fourrager utilisé, les problèmes de toxicité disparaissent dès que la plante est fauchée.
Le millet perlé fourrager (Pennisetum glaucum)
Le millet perlé est très résistant au sec et à la chaleur. D’utilisation très proche du sorgho fourrager, il est un peu moins productif, mais plus souple et plus facile d’exploitation, avec beaucoup moins de refus. Il repousse après chaque utilisation, jusqu’à la première gelée.
Contrairement au sorgho fourrager, le millet perlé ne produit pas d’acide cyanhydrique. La fréquence de pâturage pourra aussi être plus importante : 4 à 5 exploitations pour le millet contre 2 à 3 pour un sorgho.
Réaliser une première pâture 6 semaines environ après la levée et, dans tous les cas, avant le stade 60 cm, favorisera le tallage. Une première exploitation peut aussi être envisagée par fauche, mais il faudra prévoir de l’enrubanner, les tiges étant difficiles à sécher. Dans ce cas, il est recommandé de laisser une hauteur résiduelle de 15 cm et de faire paître les repousses suivantes, avec fils avant et arrière.
Le moha (Setaria italica variété moha)
Le moha est la seule graminée, avec le millet, à pouvoir se développer avec moins de 10 mm d’eau et comme le millet, il est gélif.
Graminée à fort pouvoir couvrant, le moha produit rapidement un fourrage (3 à 5 tMS/ha) riche en fibres et appétent, valorisable dès 60 jours après le semis. Sa valeur alimentaire est équilibrée, quoique moyenne. Les repousses sont cependant peu abondantes.
Les légumineuses associables
Comme pour des prairies classiques, l’ajout de légumineuses à des graminées peut être un plus en termes d’appétence et de valeur alimentaire.
Les trèfles annuels
Capable de pousser lui aussi par fortes températures, non météorisant, de port érigé et rapide d’implantation, le trèfle d’Alexandrie est l’espèce à privilégier pour les dérobées estivales : millet, moha et avoine rude lui conviennent très bien.
Le trèfle de Perse est aussi une option, et pourra tirer parti de sols lourds. Moins agressif à l’implantation que le trèfle d’Alexandrie mais résistant au froid et de meilleure valeur alimentaire, il semble être cependant peu appétent en vert, et difficile à sécher : l’enrubannage lui conviendra bien.
De port moins érigé que les trèfles d’Alexandrie et de Perse, résistant au froid, le trèfle incarnat est habituellement plutôt réservé à des dérobées hivernales. Pour bénéficier de ses repousses (aucune après floraison), il est impérativement à exploiter avant le stade bourgeonnement.
Les vesces
Les vesces (plus ou moins tardives, variété à adapter) sont aussi intéressantes pour des dérobées. De très bonne valeur nutritive, elles s’associent bien au moha ou à l’avoine rude.
Pour de la pâture, préférer l’espèce commune à la velue, réputée moins appétente.
Quelques solutions encore plus tardives
Au contraire des espèces purement estivales citées ci-contre, l’utilisation des espèces suivantes peut se poursuivre pendant l’hiver. Elles représentent des alternatives peu coûteuses et faciles d’implantation.
Les crucifères
Les plantes de cette famille fournissent rapidement et en quantité du fourrage de bonne valeur alimentaire, valorisable par la pâture ou un affouragement en vert ; c’est le cas en particulier du colza fourrager, qui s’associe d’ailleurs avantageusement à du RGI.
Attention toutefois à l’éventuelle pâture d’automne par des brebis : sa richesse et sa luxuriance pourront causer des prolapsus sur des femelles en fin de gestation…
Le ray-grass d’Italie, la valeur sûre
Pour une pâture ou un ensilage à l’automne (et une coupe en sortie d’hiver), le ray-grass d’Italie reste tout indiqué, et de préférence à choisir diploïde et à associer à un trèfle annuel (incarnat ou perse, pour les plus courants ; le trèfle d’Alexandrie ne tolère pas le froid).
Dans l’objectif d’une coupe en fin d’automne (environ 60 jours après semis) et d’une autre au printemps, le mélange suivant (c’est une proposition) devrait convenir (en kg/ha) : 8 TI + 4 TP + 15 RGI alternatif + 5 RGI non alternatif.
Les avoines
Pâture ou stock, les avoines sont très appétentes en vert et de bonne valeur alimentaire. Elles peuvent être une alternative (ou un ajout, à moindre dose) au RGI, et s’associent aussi très bien, quelle que soit l’espèce, à des légumineuses. Attention cependant, l’avoine rude (= diploïde = brésilienne) est gélive.
Les méteils
Autre possibilité permettant d’assurer du stock fourrager récoltable au printemps : l’implantation de méteils, à base d’une (ou 2) céréale(s) et de légumineuses.
Les mélanges les plus classiques sont à base de triticale, voire de seigle, céréales rustiques et productives servant de tuteur aux légumineuses, et de pois fourrager, avec éventuellement ajout de vesce (à limiter pour cause de risque de verse). L’apport d’avoine (d’hiver) est un plus pour l’appétence et le pouvoir couvrant, mais à limiter dans le mélange justement à cause de son pouvoir étouffant.
Les proportions habituellement recommandées sont de 90 à 120 kg/ha de céréales pour 30 à 50 kg/ha de légumineuses (sans aller au-delà de 30 kg/ha pour le pois, toujours à cause du risque de verse).
1 - C’est ce composé que l’on retrouve dans les amandes des fruits à noyaux, comme les abricots et les pêches.