Vers une production mondiale de blé déficitaire en 2022 ?
Compte tenu des surfaces emblavées, la production mondiale de blé en 2022 estimée à 792 millions de tonnes (Mt) serait juste suffisante pour couvrir la demande. Mais si les céréaliers réduisaient leurs apports d’engrais pour compenser les coûts de ceux-ci, ce qui affecterait les rendements, la production mondiale de blé serait alors déficitaire.
Le prix des engrais dissuadera-t-il les céréaliers des principaux pays exportateurs de blé de produire ? C’est l’une des questions majeures soulevées par les experts des marchés des céréales invités à participer à la nouvelle édition du Paris Grain Day organisée fin janvier.
En tablant sur une superficie de blé de 226 millions d’hectares, le Conseil international des céréales (CIC) estime à 792 millions de tonnes (Mt) la production potentielle de blé dans le monde durant la prochaine campagne 2022-2023. Elle serait alors juste suffisante pour couvrir l’augmentation de la demande mondiale.
«Mais si les agriculteurs des principaux pays exportateurs réduisent de 30 unités par hectare, les quantités d’engrais habituellement épandues pour limiter leurs coûts de production, la quantité de grains disponibles pour la campagne 2022-2023 diminuerait de 8 Mt à 10 Mt», démontre Nathan Cordier, analyste céréalier à Agritel. «Les stocks de fin de campagne, déjà faibles, n’excéderaient pas 46 ou 47 Mt».
En Russie, les céréaliers déjà taxés et pénalisés par la hausse des engrais, pourraient prendre des mesures radicales pour ne pas produire à perte. «Le nouveau calcul des taxes à l’exportation, annoncé par Christina Serebryakova, courtier à Astria Broker, pour prendre en partie en compte la hausse des prix des intrants», ne changera pas la donne.
Incertitudes ukrainiennes
La campagne de commercialisation du maïs de 2022 est aussi tendue. Elle se joue dans les trois prochains mois. Dans l’hémisphère sud, l’USDA prévoit des productions records de 175 Mt au Brésil et en Argentine mais la Niña surgit de nouveau. Si la production de maïs sud-américaine est inférieure à celle attendue alors même que le conflit russo-ukrainien paralyse les ports céréaliers de la mer Noire, l’ambiance sur les places de marchés serait alors explosive.
L’Ukraine ne commercialise sa récolte 2021 que depuis trois mois et aucun pays n’est réellement en mesure de prendre le relais. Par ailleurs, l’Argentine prendrait ses dispositions pour limiter ses exportations et protéger son marché intérieur. Le climat d’incertitudes sur la campagne 2022-2023 pourrait se prolonger tout au long de la décennie. La demande mondiale de blé devrait croître de 80 Mt d’ici 2030.
Ambition européenne
Relever ce défi planétaire requiert la mobilisation des pays du G20 agricole, «mais la multitude des accords commerciaux montre que la voie retenue est l’organisation commerciale des pays par blocs», explique Sébastien Abis (IRIS-Club Demeter). C’est le cas du dernier accord commercial de la zone Asie-Pacifique (Chine, Australie Nouvelle-Zélande, etc.) qui va entrer en vigueur. Par ailleurs les rendements stagnent dans les principaux pays producteurs de blé autour de 3,4 tonnes par hectare, souligne Nathan Cordier. Le bassin de la mer Noire ne sera plus le moteur de la production de blé.
Par ailleurs, toutes les terres disponibles étant cultivées en Ukraine et en Sibérie, l’expansion de la culture de céréales d’hiver est limitée. Quant aux États-Unis, les farmers se détournent du blé pour cultiver du maïs et du soja. Dans ce contexte, l’ambition affichée par l’Union européenne d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 en renonçant, entre autres, de produire près 20 Mt de blé au cours des prochaines années déconcerte. Le reste de la planète devrait alors produire d’ici 2030, jusqu’à 100 Mt de blé par an.